Ils sont 9,2 millions de 18 à 29 ans. On les dit « jeunesse sacrifiée », ce qui est bien excessif, mais il est clair que cet atout formidable que la jeunesse représente pour notre pays n’est pas suffisamment mis en valeur. Il n’y a, de fait, que peu de politiques destinées à la jeunesse et les chiffres ne trompent pas.
L’âge d’entrée au travail est un des plus élevés en Europe, à 22 ans et 5 mois, le taux de pauvreté est supérieur à celui des autres classes d’âge et chacun connaît le grand problème de logement auquel elle fait face. Par ailleurs, il y a à peu près 1 million et demi de jeunes désocialisés, baptisés NEETS (« not in education, employment or training »), qui n’ont aucune vocation à le demeurer. Cette insertion bien trop faible de cette jeunesse, pour qui la transition entre les études et le monde du travail est très chaotique, est le problème majeur de notre développement. La lutte contre cette perte de sens liée à ces voies sans issues, ces projets avortés, ces jeunes sans formation, cette énergie gaspillée devrait être la grande cause nationale. Empêcher les jeunes d’entrer dans le salariat ou les entraver dans leur projet entrepreneurial est une absurdité économique.
Une jeunesse livrée à elle-même
Premièrement, c’est un coût social et économique de laisser la jeunesse livrée à elle-même, alors que le nombre de NEETs s’allonge comme les queues d’étudiants devant les banques alimentaires . Les empêcher d’atteindre l’autonomie, c’est augmenter les dépenses sociales pour un Etat déjà en déficit et déjà endetté.
C’est aussi une innovation contrainte qui bride notre croissance de long terme. Où seront les grandes innovations de demain, les nouveaux produits, les nouveaux vaccins, les nouvelles technologies qui nous manquent cruellement aujourd’hui, si nos jeunes sont empêchés dans leur développement ? Croissance atone et défis de décarbonation insurmontable, si nous laissons notre jeunesse à l’abandon, nous nous empêchons de faire face aux impératifs des sociétés modernes.
C’est enfin une augmentation des inégalités par l’hyperconcentration de l’épargne entre les mains des seniors. La France est un pays fracturé, la crise des gilets jaunes et le mouvement contre la réforme des retraites nous l’ont enseigné plus que jamais. Ne rajoutons pas à cela une fracture générationnelle , propre à générer rancoeur et pessimisme.
La jeunesse n’a pas choisi la paresse
Je ne fais pas partie de ceux qui croient à une pseudo-rupture entre la jeunesse et le monde du travail. La jeunesse désire plus que quiconque relever les défis de demain. Au Cercle des économistes, nous avons mené notre propre enquête auprès de 35.000 jeunes, et les résultats sont éclairants. La jeunesse n’a pas choisi la paresse, loin de là. Elle souhaite travailler, mais pas dans n’importe quelles conditions. Emergent chez elle les questions des rémunérations, de l’utilité et des conditions de travail, de la hiérarchie trop ossifiée, ou encore de la reconnaissance. Par ailleurs, 90 % des jeunes se disent intéressés par un projet entrepreneurial. Seulement, c’est aussi 35 % de cette jeunesse, d’après notre enquête, qui admet manquer d’information pour se lancer dans l’entrepreneuriat, ou pour qui entrepreneuriat est synonyme de « galères ».
Cette génération climat, hypersensible à l’écologie et aux questions de discrimination, désire plus que les précédentes se former continuellement et investir le monde du travail pour le bouleverser de l’intérieur. Les 800.000 jeunes Français qui entrent chaque année sur le marché de l’emploi , ainsi que notre démographie française dynamique, sont notre plus grand espoir. Ce ne sont pas des pouvoirs publics et de l’Etat que les transformations essentielles à la société viendront. Elles viendront pour une grande part de la société française elle-même.
Jean-Hervé Lorenziest membre du Cercle des économistes et président des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence.
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