Jean Pruvost est lexicologue, professeur d’université émérite, auteur d’ouvrages de référence sur la langue française et récemment du «Féminin, Au fil des mots et de l’histoire», (Tallandier).
LE FIGARO. – Comment naissent les nouveaux mots du dictionnaire ?
Jean PRUVOST. – On n’oubliera pas que ce qu’on appelle un néologisme ne recouvre pas seulement une forme nouvelle, comme « empouvoirement », mais aussi un sens nouveau accordé à un mot. Il convient de signaler que le néologisme représente un processus naturel : il y a d’abord, l’enfant qui néologise pour exprimer ses désirs, l’adolescent, de son côté, qui veut s’affirmer et transgresse le vocabulaire adulte, d’où le verlan ou les mots du rap ; il y a ensuite les adultes qui inventent des mots qui dans le monde du travail leur sont nécessaires ou qui vont les valoriser dans un univers donné. D’où des mots techniques indispensables et parfois aussi des anglicismes quelque peu prétentieux qu’ils imaginent impressionnants… et enfin, les personnes plus âgées, qui essaient de préserver le vocabulaire, relevant d’une certaine pérennité, ils représentent une nécessaire force conservatrice pendant que les jeunes représentent une sorte de dynamique créatrice également nécessaire, naturelle.
C’est dans l’usage que peut s’harmoniser à la longue le flux continu des néologismes ; cela s’observe par le biais des dictionnaires qui, en ayant pour critère la fréquence, enregistrent ou n’enregistrent pas tel ou tel mot nouveau. On peut compter sur la vigilance du Petit Larousse, de ses lexicographes qui représentent des observateurs de longue expérience, aptes à décrire les mots nouveaux, à enquêter sur leur sens précis, leurs synonymes, et même leur éventuelle traduction s’il s’agit d’anglicismes, en somme à les apprécier sous toutes leurs facettes et à en retracer l’historique. C’est ainsi qu’au long terme, les néologismes s’installent dans la langue française ou disparaissent : le « gratuiciel » ne s’est pas fixé, mais les « bédéphiles » y ont fait souche, pendant que les « tucistes » ont disparu avec le TUC, une mesure qui n’existe plus, concernant le « travail d’utilité collective ». Quoi que l’on pense et dise, seul l’usage général restera le maître.
Toute forme nouvelle est perçue tout d’abord comme étrange, voire « inesthétique », le fait de ne pas y être habitué la fait rejeter.
Certains mots « fonctionnent » et s’implantent, d’autres, non. Comment l’expliquer ?
Parfois, parce que le néologisme est plaisant et intègre une pointe d’humour, un clin d’œil, il s’installe assez vite, comme les « infox » à la place des « fake news » ou comme le verbe « divulgâcher » pouvant remplacer l’anglicisme « spoiler » (même si ce dernier a des origines françaises…), et il entre presque de plain-pied dans l’usage. En l’occurrence remercions la Délégation générale à la langue française et aux langues de France pour son travail et ses suggestions, les commissions font du bon travail. Et les dictionnaires le relaient avec diligence.
Quant à la réticence naturelle devant toute forme nouvelle, rappelons en guise d’exemple que le mot « enseignant » en tant que substantif avait été considéré par bien des puristes comme inutile et laid, tout comme « paratonnerre » et « vacancier », ce qui aujourd’hui peut nous laisser pantois. Toute forme nouvelle est perçue tout d’abord comme étrange, voire « inesthétique », le fait de ne pas y être habitué la fait rejeter. Et puis, à la façon du substantif « enseignant », en ayant besoin du concept qu’il représente, il triomphe alors sur d’autres concurrents et finit par s’installer : on a alors l’impression qu’il a toujours existé.
Le mot « empouvoirement » qui rejoint le Petit Larousse étonne. D’où vient-il ?
L’« empouvoirement », traduction française de « empowerment », est issu de la sociologie, utilement traduit en français, par les courants féministes. Ce mot se rencontre aussi avec un second sens, il était donc bon de l’offrir en tant que « fait de donner davantage de pouvoir à des individus ou à des groupes pour leur permettre d’agir sur leur environnement social, économique, politique ou écologique. » C’est en réalité un parfait exemple du travail sérieux des lexicographes, qui n’ont pas à juger de l’esthétique du mot mais à le décrire, à nous informer. Et d’ajouter en l’occurrence la « recommandation officielle : « autonomisation », ce qui permet à chacun de choisir et le sens qui convient et la version qui lui paraît pertinente. Et il est par ailleurs probable que ce mot sera à suivre dans son évolution : il peut s’imposer dans l’usage ou devenir rare, réservé à des usages très précis. Le fait qu’il entre dans les dictionnaires constitue une étape et un premier témoignage d’existence pour la collectivité. Il lui faut maintenant y rester.
À lire aussi«Le français ne va pas si bien, hélas»
La néologie dépasse souvent les frontières de sa propre langue. Certaines langues se prêtent-elles plus facilement à la création de mots ?
La création des néologismes peut être spontanée, en usant des mécanismes naturels de la langue ou directe en « empruntant » le mot à une langue étrangère qui l’a déjà promu. En ce moment, c’est de l’anglais que viennent souvent des mots adoptés et comme il y a là un effet de mode et un excès d’emprunts, on comprend que cela puisse être horripilant. Quand il s’agit de partir de mots français déjà existants ou de racines installées dans notre mémoire linguistique, il faut relever que certains mots se prêtent plus facilement que d’autres à la dérivation par suffixation ou préfixation, ou à la composition en usant de racines latines et grecques. Il n’est pas difficile ainsi d’inventer « masculinisme » et il a été aisé d’inventer il y a plus de 150 ans le mot « féminicide ». Rien de plus simple que de créer spontanément « proustien » ou « gaulliste », c’est déjà plus difficile pour « Pompidou » donnant « pompidolien », et c’est difficile pour le romancier qu’était l’abbé « Prévost ». Quand il s’agit de mots anglais, emprunter par exemple, « en live » pour « en direct », et « deadline » pour « date butoir », un « team » pour une « équipe », relève de l’habituelle fausse valorisation à la façon dont au XVIIe siècle, il était de bon ton de glisser des mots latins partout pour marquer une fausse supériorité. Beaucoup s’en désolent. Et le dictionnaire propose presque toujours un équivalent en « bon » français. Le risque est en effet là : on peut aboutir à un appauvrissement du lexique français si on n’utilise que les anglicismes.
Un dictionnaire ne doit pas […] faire violence à toutes les idées reçues, en imposant des acceptions vieillies depuis longtemps. Il ne doit ni suivre de trop loin, ni ouvrir la marche ; c’est un laquais qui porte les bagages de son maître, en le suivant par-derrière
Pierre Larousse
Que pensez-vous donc du « fast-fashion » qui rejoint les colonnes du dictionnaire ?
Un mot comme « fast-fashion » n’est pas compréhensible de ceux qui ne sont pas initiés à ce vocabulaire, et je l’avoue, quand je lis dans un magazine que « loin devant la mode éthique et durable, la fast fashion continue d’attirer une grande partie de la population », je ne dois pas faire partie de cette grande partie de la population puisque dans un premier temps, je ne comprends pas en effet le propos, ne sachant pas ce que signifie « fast-fashion », même en connaissant et en aimant l’anglais. Or, cela étant, si le mot se retrouve souvent dans la presse, j’ai besoin de comprendre de quoi il s’agit, et le dictionnaire me donnera alors très utilement une définition, et la manière de dire autrement. C’est un grand service rendu.
Le dictionnaire doit-il suivre la société ou la société doit-elle le précéder ?
Je reprendrai la formule de Pierre Larousse dans le Nouveau Dictionnaire de la langue française, publié en 1856, qui en somme est le plus lointain ancêtre du Petit Larousse illustré né en 1905 : « Un dictionnaire ne doit pas […] faire violence à toutes les idées reçues, en imposant des acceptions vieillies depuis longtemps. Il ne doit ni suivre de trop loin, ni ouvrir la marche ; c’est un laquais qui porte les bagages de son maître, en le suivant par-derrière », son maître étant l’usage. Il suffit de lire la définition du mot « énervé » donnée très objectivement en 1905 dans le Petit Larousse illustré : « ÉNERVÉ, E adj. et n. Abattu, qui a subi le supplice de l’énervation. Abusiv. Qui a les nerfs agacés. » Et on se rend alors compte que lorsqu’on lit « énervé » dans les romans du XIXe siècle, le plus souvent on a compris à tort l’inverse… le contraire de ce que voulait par exemple ainsi exprimer Flaubert ou George Sand.
Il n’y a d’ailleurs pas que le sens qui change et qui surprend dès qu’on se penche sur l’évolution des mots. Par exemple, la planche magnifique consacrée aux automobiles dans le même Petit Larousse illustré de 1905, offre des gravures ainsi libellées « automobile couvert (omnibus ) » ou « automobile découvert (tonneau) ». Et la définition de l’article de confirmer alors ce masculin : « AUTOMOBILE se dit d’appareils qui se meuvent d’eux-mêmes. Voiture qui marche à l’aide d’un moteur à vapeur, à l’électricité, à pétrole, à air comprimé, à gaz, etc. une voiture automobile. N ; m. : un automobile. » Il faudra en fait attendre plus d’une décennie pour que le féminin apparaisse, et que le masculin sorte ainsi de l’usage, ce dernier ayant finalement tranché pour le féminin : « une automobile découverte ».
Concernant les mots qui ont fait l’histoire des éditions du Larousse, on voit que des mots de 1905-1930 (boulevarder, champignonniste) ou de 1930-1960 (zazou) ont disparu. Comment l’expliquer ?
Il suffit de penser à l’informatique, technologie pourtant relativement récente, pour percevoir à quel point des mots très utiles à un moment peuvent rapidement disparaître de l’usage. Un mot qui, par exemple, dans les années 1960 symbolisait la plus grande modernité, la « carte perforée », était déjà devenu incompréhensible pour mes étudiants en 2000. Ils n’en avaient jamais vu et ignoraient de quoi il s’agissait. Le mot « disquette » est, de même, proche de l’oubli pendant que tout le monde sait ce qu’est une « clé USB » au reste sans repérer ce que le sigle signifie, en l’occurrence Universal Serial Bus ». Mon père avait acheté dans sa jeunesse un « gramophone », et dans ma prime jeunesse on m’offrait un « tourne-disque », on disait même un « Tepaz « du nom de la marque très connue de l’époque. Viendra le moment où ces mots seront archaïques pouvant alors disparaître de nos dictionnaires. Mais pour l’heure, il s’agit d’offrir à toutes les générations l’explication d’un mot qui se rencontre dans la littérature.
Il va de soi que certains mots anciens, qui sont assurément sortis de l’usage, peuvent cependant se comprendre tout seul, dans leur contexte : « boulevarder » et « champignonniste » sont de ceux-là. « Zazou » est par ailleurs bien présent dans le Petit Larousse 2024. Au reste, j’insisterai volontiers sur le fait qu’au moment où l’on achète le Petit Larousse de l’année, il ne faut surtout pas se séparer des anciens, ce sont des témoignages qui seront précieux pour nos enfants et petits-enfants. Ainsi, il y eut des refontes, on a enlevé bien des mots qu’utilisaient les sabotiers, ou bien les voituriers du temps des voitures à cheval, ces mots étaient en effet tous sortis de l’usage, il était normal qu’ils laissent la place à de nouveaux mots, mais ainsi inscrits dans un millésime, ils ne sont pas perdus.
De fait, si on n’enlevait jamais de mots au dictionnaire en un volume, le « Petit Larousse » créé en 1905 serait aujourd’hui encombré de 200 000 mots, il serait obèse ! Rappelons que dans une langue il y a 3000 mots de base, 30 000 mots de culture générale et ensuite, on passe au vocabulaire de spécialité, qui est infini (on a ainsi créé 10 000 mots très spécifiques lorsque fut fabriquée la fusée Ariane). Et donc pour un dictionnaire en un volume, on engrange environ 60 000 mots ce qui est déjà très confortable pour retrouver un mot technique, savant, rare.
Il est bon de remonter dans le temps pour comprendre que c’est en partant souvent du latin que le mot d’une réalité non sexuée est devenu masculin ou féminin
L’usage fait loi, on l’a compris. Mais parfois, il hésite entre le masculin et le féminin. Pour quelle raison ?
J’ai donné l’exemple de l’automobile, « nom masculin » en 1905. Il y avait alors un flottement sur le genre, et c’est le féminin qui l’a emporté. C’est chose courante pour bien des mots, et si j’ai un respect infini pour le féminin, au point d’y consacrer un livre entier (Le féminin, Au fil des mots et de l’histoire, Tallandier), il faut bien avouer que l’hésitation a souvent été de mise entre le masculin et le féminin, et se poursuit encore pour certains mots comme « cet après-midi » ou « cette après-midi ». En vérité, le fait de ne pas avoir de marque neutre distincte de la marque du féminin et de celle du masculin, nous met parfois dans l’embarras. On ne niera pas que la logique ne semble pas toujours au rendez-vous, en revanche chaque mot a bien son histoire. Ainsi on a dit « une » éventail, une carrosse, une bonne exemple, une doute, une belle orage, une squelette, mais aussi « un » date, un affaire, un armoire, un dent, le steppe, et comme on vient de le constater « un » automobile.
On a beaucoup glosé sur des féminins qui seraient dévalorisants, il est effectivement fort déplaisant que les féminins de certains mots soient péjoratifs, mais on ne se plaindra pas que les substantifs « assassins », « bandit », « forban », « gangster », « imposteur », « escroc », « malfaiteur », « malfrat » n’aient pas vraiment de féminin. Jouer sans fin des éternels exemples des mots qui au féminin deviennent péjoratif, « gars »-« garce », « entraîneur-entraîneuse », c’est rappeler des féminins effectivement regrettables, mais cela pourrait faire oublier que comme le signalait Viollet-le-Duc en 1872, le féminin s’est imposé dans de grandes idées ou réalités, « la muse, la gloire, la foi, la charité, la paix, l’astronomie », etc. Il est bon de remonter dans le temps pour comprendre que c’est en partant souvent du latin que le mot d’une réalité non sexuée est devenu masculin ou féminin. Voilà encore une raison de s’intéresser à l’histoire de la langue française.
Qu’en est-il de la féminisation de la langue ?
Le grand débat que fut la féminisation des noms de métiers est je le crois et je l’espère aujourd’hui très apaisé. Soulignons que l’Académie française a offert un rapport très soutenu sur le sujet, rapport confié notamment à Dominique Bona et Danièle Sallenave, Gabriel de Broglie, Michael Edwards, et rendu public le 1er mars 2019. Avec pas moins de vingt pages où sont signalés des usages propres à l’histoire de la langue comme « inventeure », « mairesse », et où l’on admet que puisse être dit « autrice » de bonne construction comme « institutrice ». Et chacun ayant d’une certaine façon liberté pour un choix qui n’est pas imposé pour bien des mots et qui n’a rien d’une option politique comme on voudrait parfois le laisser croire. On connaît tous des dames de positions politiques opposées désirant être toutes deux présentées au masculin dans leur profession et d’autre également dans des partis très opposés demandant le féminin.
À dire vrai, l’usage finira par trancher, sans doute en adoptant le féminin. En réalité c’est un débat très ancien, je note par exemple qu’en 1607, dans sa Grammaire Françoise contenant règles très certaines, Charles Maupas déclarait déjà que « Tout nom concernant office d’homme est de genre masculin et tout nom concernant les femmes est féminin de quelque terminaison qu’ils soient », prônant ainsi une règle apparemment simple mais avec une systématicité que l’usage ne suivra pas vraiment, les discussions se multipliant au cours des siècles. Jusqu’à aujourd’hui, où semble-t-il le débat est fort heureusement devenu plus serein. Et les dictionnaires font leur travail : ils enregistrent les deux usages jusqu’au moment où l’un deviendra archaïque. Le Petit Larousse est un grand qui veille !
Cette chronique a été reproduite du mieux possible. Au cas où vous projetez d’apporter des modifications concernant le thème « Web desing » il est possible de contacter notre journaliste responsable. Le but de leakerneis.fr est de trouver sur internet des données sur le sujet de Web desing puis les diffuser en tâchant de répondre au mieux aux interrogations des internautes. Cet article, qui traite du thème « Web desing », vous est spécialement proposé par leakerneis.fr. Il est prévu divers travaux autour du sujet « Web desing » à brève échéance, on vous invite à naviguer sur notre site internet aussi souvent que possible.Vous pouvez lire cet article développant le sujet « Web desing ». Il est fourni par l’équipe leakerneis.fr. Le site leakerneis.fr est fait pour publier plusieurs publications autour de la thématique Web desing publiées sur la toile. L’article original est réédité du mieux possible. Si vous envisagez d’apporter quelques modifications concernant le sujet « Web desing », vous êtes libre de contacter notre équipe. Prochainement, nous présenterons d’autres informations autour du sujet « Web desing ». De ce fait, consultez régulièrement notre blog.