Commencez par lire ceci : « Bam bam, tout d’un coup le boug est love/Le plan, c’était s’enjailler ». Ou encore : « En Catchana, baby, tu dead ça ». Allez, un dernier : « C’est faya, faya, faya/J’suis pompelup et j’veux des loves, j’veux des loves ».
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Peut-être certains d’entre vous auront-ils reconnu des extraits des chansons d’Aya Nakamura (respectivement Haut-niveau, Djadja et Faya). Peut-être certains d’entre vous – comme moi – n’auront-ils pas spontanément compris les paroles. D’où l’émoi suscité par le choix du président de la République – révélé par L’Express en février – de confier à la chanteuse l’honneur de représenter la France lors des Jeux olympiques. Un choix qu’il a confirmé depuis en assurant : « Elle a tout à fait sa place dans une cérémonie d’ouverture ou de clôture des Jeux. »
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Ces derniers propos datant d’avant la dissolution, il est encore prudent d’attendre : seules les prochaines semaines diront si l’idée va à son terme – a fortiori en cas de cohabitation avec Jordan Bardella. Toujours est-il que, sur le moment, son annonce n’a pas convaincu tout le monde, loin s’en faut. 63 % des personnes interrogées se sont en effet aussitôt déclarées défavorables à cette idée, selon une enquête Winimax RTL. Elle a également déclenché un débat passionné sur ce qu’est ou n’est pas la langue française. Qu’en est-il exactement ? Voici la réponse des linguistes aux différentes assertions qui ont circulé à cette occasion.
« Elle ne chante pas en français » : FAUX
Sans doute les vers de la chanteuse sont-ils assez éloignés de ceux de Racine ou d’Aragon – litote. Pour autant, difficile de soutenir qu’elle s’exprime en allemand, en basque ou japonais. « Certes, ses textes ne sont pas toujours spontanément compréhensibles, mais l’opacité n’est pas un bon argument. Quand un néophyte lit un article scientifique, il y trouvera un grand nombre de mots inconnus. Et pourtant, il s’agit bien de français », résume Maria Candea, membre des linguistes atterrées.
Analyse corroborée par son collègue Jean Szlamowicz (auteur de Les Moutons de la pensée, aux éditions du Cerf), pourtant opposé à ce courant. « Toute langue comprend différentes variantes, qui dépendent des générations, des lieux, des groupes sociaux, etc. De ce point de vue, le français d’Aya Nakamura correspond à une niche sociolinguistique, c’est-à-dire un sociolecte, mais il s’agit bien de français. »
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« Son français est très particulier » : VRAI
Née au Mali et élevée en Seine-Saint-Denis, Aya Nakamura produit des textes qui reflètent un parcours individuel imprégné de différentes cultures, comme le souligne une autre linguiste, Corinne Mencé-Caster. Ainsi s’explique la présence de termes issus d’une langue du Mali, le bambara (djadja, « menteur ») ; d’un argot ivoirien, le nouchi (tchouffer, « foirer » ; s’enjailler, « faire la fête, s’amuser », altération de l’anglais to enjoy) ; de créole antillais (bail, « chose ») ; d’anglais (tu dead ça, soit « tu le fais trop bien », selon la propre traduction de la chanteuse) ; d’espagnol (¿qué pasa ?, « que se passe-t-il ? ») ; de verlan (tit-pe, « petit »), sans oublier des expressions populaires comme « c’est pas mon délire » ou « genre ». Des textes dans lesquels elle tord également la syntaxe sans pudeur : « Donne-moi douceur » ; « Il me voulait cadeau ». Tout cela lui confère une singularité que chacun peut juger créative ou insupportable ; il demeure que, dans le champ lexical de la chanteuse, le français reste la langue dominante.
« De nombreux artistes ont déjà eu recours à ce type de procédés » : VRAI
« Tordre les conventions, utiliser l’argot, multiplier les emprunts, créer des néologismes correspond à une pratique stylistique classique dans la chanson française », souligne Maria Candea. On pourra juger la comparaison flatteuse pour Aya Nakamura, mais force est de constater que cette démarche a en effet été suivie par Brassens (« Il s’en fallut de peu, mon cher, que cette putain ne fût ta mère ») ; Gainsbourg (« Viens, petite fille, dans mon comic strip. Viens faire des wip ! Des clips ! crap ! Des bangs ! des vlop, et des zip, shebam, pow, blop, wizz ! ») sans oublier Renaud (« laisse béton », « craignos », « mon futal », « mes grolles »…).
« Elle a du succès, donc elle est comprise » : FAUX
« Je constate une chose : c’est une artiste qui, pour parler en bon français, est la plus streamée parmi les artistes francophones. Elle parle à un bon nombre de nos compatriotes », soutient encore Emmanuel Macron. Ce n’est pourtant pas si sûr.
« Comme le montre le succès des chanteurs anglo-saxons, le fait d’être écouté ne veut pas forcément dire que l’on est compris », rappelle Jean Szlamowicz. Ou alors, il faut supposer que les Français qui adorent Flowers, de Miley Cyrus – la chanson la plus écoutée dans l’Hexagone en 2023 – sont parfaitement anglophones, ce qui serait aller un peu vite en besogne.
Par sa décision, le chef de l’Etat semble par ailleurs établir un lien entre triomphe commercial et qualité artistique. Cette équivalence ne va pas forcément de soi. « Tout comme la réussite de Mc Donald’s ne fait pas de cette enseigne une étoile de la gastronomie, l’écho rencontré par Aya Nakamura ne la hisse pas nécessairement au niveau de Baudelaire, reprend Jean Szlamowicz. Emmanuel Macron fait comme si la consommation légitimait la valeur et devenait le socle du jugement esthétique, comme si tout se valait. Pour ma part, je ne le pense pas. »
« Paris n’a plus le monopole de la créativité langagière » : VRAI
Longtemps, c’est dans la capitale que « s’inventait » la modernité en français. Cette période est révolue. « Depuis les années 2010, Paris ne jouit plus du rôle du seul « centre » d’où émergent les innovations linguistiques, souligne le linguiste Mathieu Avanzi, spécialiste des variations du français. Des villes comme Marseille ou comme Abidjan ont pris le relais. » Une situation qui reflète une évolution majeure de ces dernières décennies : la France est devenue minoritaire dans la francophonie.
Alors, Aya Nakamura chante-t-elle ou non en français ? Linguistiquement, la réponse est incontestablement oui, même si l’artiste s’exprime dans un registre particulier. Politiquement, la question est de savoir si c’était ce français-là qu’il convenait de choisir pour représenter notre pays lors de l’événement le plus médiatisé de la planète. Et sur ce point, chacun est libre de s’enjailler ou de juger que le président a tchouffé grave.
CETTE INFOLETTRE S’INTERROMPT PENDANT L’ÉTé. RENDEZ-VOUS À LA RENTRÉE.
A lire ailleurs
Langues française et régionales : ce que promettent les trois grands blocs
Les questions linguistiques sont quasiment absentes des élections législatives. Sauf erreur de ma part, voici les seules allusions qui y sont faites dans le programme électoral des trois grands blocs. A défaut, j’ai repris les programmes de la présidentielle de 2022.
– « Suppression des Enseignements de langue et de culture d’origine (ELCO) qui nuisent à l’assimilation des élèves, notamment parce qu’ils sont assurés par des enseignants étrangers. »
– En 2022, Marine Le Pen s’était déclarée « défavorable à l’apprentissage des langues régionales à l’école ».
– « Favoriser l’enseignement des langues régionales en outre-mer ».
– Le programme 2024 ne comprend aucune allusion aux langues de métropole. La gauche s’était divisée au moment du vote de la loi Molac sur les langues régionales en 2021, les députés LFI votant contre, les députés PS et écologistes votant majoritairement pour.
– Le programme du camp présidentiel ne comprend aucune proposition sur ces sujets.
– Le gouvernement Castex, par la voix du ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, s’était toutefois opposé en 2021 à cette même loi Molac.
Aucun des trois blocs ne propose par ailleurs un quelconque renforcement de la loi Toubon sur la langue française.
Le collectif Pour que vivent nos langues interpelle les candidats aux législatives
Le collectif Pour que vivent nos langues a adressé aux principaux candidats un document les interpellant sur la situation des langues dites régionales en France. Avec une question unique : » Vous engagez-vous à œuvrer en faveur d’une révision constitutionnelle afin de consacrer l’usage et la transmission des langues régionales en France ? »
Le cercueil de Ben Vautier recouvert d’un drapeau occitan
Lors des obsèques du célèbre artiste niçois Ben Vautier, son cercueil, ainsi que celui de son épouse Annie, étaient recouverts d’un drapeau occitan. Le couple défendait en effet avec ardeur les langues et cultures menacées, en particulier le nissart, que Ben Vautier considérait comme un dialecte de la langue occitane.
La Défenseure des droits ignore les discriminations linguistiques
Le sociolinguiste Philippe Blanchet a saisi le mois dernier Claire Hédon, la Défenseure des droits. L’institution qu’elle préside marginalise en effet sur son site les discriminations à fondement linguistique, ce qui étonne celui qui est précisément l’inventeur du terme glottophobie (« Forme de discrimination basée sur certaines langues ou certains accents régionaux »). Il rappelle l’introduction de cette discrimination dans le code pénal et souligne que les traités internationaux concernant la protection des libertés fondamentales incluent le critère de la langue. Sa lettre, très argumentée, est à ce jour restée sans réponse.
« Dictionnaire pratique et phraséologique français-picard »
Quatre ans après la parution du Dictionnaire fondamental français-picard, l’Agence régionale de la langue picarde vient de publier ce nouveau Dictionnaire pratique et phraséologique français-picard, élaboré par la linguiste Liudmila Smirnova. Conçu comme un outil d’apprentissage et d’enseignement de la langue picarde, il fournit les équivalents picards des 5 000 mots les plus fréquents du français contemporain.
Lancement de Desketa, la plateforme d’apprentissage du breton.
La région de Bretagne vient de lancer une plateforme numérique pour apprendre le breton en ligne. Le site, appelé Desketa, propose plusieurs niveaux d’apprentissage et est disponible en six langues. Il est entièrement gratuit et accessible sur ordinateur et téléphone portable.
Le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes installe des panneaux bilingues
Le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes adopte la double signalétique français/catalan. Une action menée avec le soutien de l’Office public de la langue catalane afin de mettre en valeur cette langue minoritaire et de préserver la toponymie originelle.
A Villers-Cotterêts, la Cité internationale de la langue française n’a pas fait reculer le RN
L’équipement culturel voulu par Emmanuel Macron, censé notamment faire reculer l’extrême droite dans cette ville dirigée par le Rassemblement national, a attiré 180 000 visiteurs. Un succès qui n’a pas pour autant fléchir le vote pour le parti de Marine Le Pen, qui a rassemblé 47 % des suffrages exprimés aux européennes.
Défense du français : les Etats-Unis menacent le Canada de sanctions
Des fonctionnaires américains auraient évoqué la possibilité d’imposer des sanctions commerciales au Canada en raison de la loi 96, qui renforce la législation en faveur de la défense de la langue française au Québec. Selon les Etats-Unis, cette loi constituerait un obstacle au commerce ou une violation de la propriété intellectuelle.
A écouter
« On regarde le monde différemment d’une langue à l’autre »
Il y a de la poésie dans la grammaire ! Telle est la conviction de Jean-Pierre Minaudier, qui était l’invité de Pascal Paradou dans son émission de RFI De vive(s) voix. Une conviction qu’il avait précédemment exposée avec autant d’érudition que d’humour dans son ouvrage Poésie du gérondif (éd. Le Tripode). Certaines langues n’ont ainsi ni passé ni futur, alors qu’il en existe six dans une langue papoue. « On regarde le monde différemment d’une langue à l’autre », résume-t-il. Passionnant !
Des audios consacrés à l’histoire, la création et la culture occitanes : telle est la proposition de Tè ! lo podcast, proposé par le Cirdoc-Institut occitan de culture. Une vingtaine d’épisodes sont déjà disponibles.
A regarder
Au Texas, ces Américains apprennent… l’alsacien !
A Castroville, petite ville texane où se sont installés de nombreux Haut-Rhinois au milieu du XIXe siècle, les nouvelles générations souhaitent apprendre l’alsacien. Et elles y parviennent, grâce à des spécialistes qui, depuis l’Alsace, ont élaboré à leur intention une méthode d’apprentissage spécifique.
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