Circulez, il n’y a plus rien à voir ? Depuis peu, le numéro 2 du boulevard de Suède ressemble davantage à un terrain vague qu’à l’une des grandioses villas surplombant la Côte d’Azur à Villefranche-sur-Mer, non loin de Nice.
À deux pas de la célèbre villa Léopolda – l’une des plus chères au monde, ayant appartenu au roi des Belges et dans laquelle Alfred Hitchcock a tourné une partie de “La main au collet” -, le no-man’s land immobilier du 2 boulevard de Suède dénote et intrigue.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Pour percer le mystère qui se cache derrière cette adresse, et qui a des ramifications jusqu’à Bakou, il faut se plonger dans l’histoire d’une demeure, la villa Santa Monica, qui valait près de six millions d’euros. Une histoire qui met en scène banques et montages financiers opaques au Luxembourg, une boîte aux lettres à proximité du stade Louis II en plein cœur de Monaco, et des personnages des plus hautes sphères du pouvoir économique et politique en Azerbaïdjan.
Une mystérieuse société monégasque
C’est d’ailleurs un journaliste azerbaïdjanais, du média indépendant Abzas, qui commence à s’intéresser à la villa Santa Monica. Il cherche alors à comprendre comment un simple fonctionnaire de l’administration azerbaïdjanaise, Panah Jahangirov, et son épouse, Reyhan Huseynova, ont pu devenir propriétaires d’une villa d’une valeur de 5,8 millions d’euros en 2008. Il cherche aussi à savoir qui se cache derrière Boulevard Side, la société anonyme monégasque ayant racheté, en 2019, cette même villa sise dans l’un des lieux de villégiature les plus courus de la Côte d’Azur… pour ensuite la faire détruire.
Le consortium de journalisme d’investigation Forbidden Stories, auquel ont collaboré pour cette enquête Abzas Media, France 24, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), et l’hebdomadaire luxembourgeois d’Lëtzebuerger Land, a poursuivi son travail et découvert que le véritable propriétaire de la villa Santa Monica est actuellement le puissant homme d’affaires azerbaïdjanais Shahin Movsumov. À la tête du conglomérat AS Group, il est le frère de Shahmar Movsumov, un proche conseiller économique du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev. Contacté par le consortium directement et par l’intermédiaire de sa société, Shahin Movsumov n’a pas donné suite à nos questions.
Boulevard Side, c’est lui aussi. Créée en 2019, cette société de droit monégasque lui a permis de racheter cette villa sans que son nom n’apparaisse sur l’acte de vente. La principauté est, en effet, connue pour son droit des sociétés qui garantit un haut degré de confidentialité. Mais c’est bien lui qui est désigné comme le propriétaire du 2 boulevard de Suède sur un permis de construire déposé en 2020, que France 24 a pu consulter, pour ériger une nouvelle villa à cette adresse. Cette information a aussi pu être confirmée par l’architecte niçois Philippe Mialon, qui avait été mandaté par l’homme d’affaires azerbaïdjanais pour imaginer les plans de sa future extravagance immobilière.
Pas étonnant que l’adresse aiguise les convoitises. “C’est un terrain exceptionnel qui offre l’une des plus belles vues qui soient sur la rade de Villefranche-sur-Mer et la Côte d’Azur”, assure Philippe Mialon contacté par France 24.
3 547 m² au cœur du quartier des souverains
La villa Santa Monica et ses dépendances, qui recouvraient 3 547 m² du temps de sa splendeur, est aussi chargée d’histoire. Si le boulevard de Suède s’appelle ainsi, c’est en partie à cause d’elle. Carl Florman, cofondateur de la Scandinavian Airlines, fut l’un des propriétaires antérieurs. “On nous a raconté qu’il a invité à plusieurs reprises le roi de Suède dans cette maison, et qu’il a été question de nommer la rue en son honneur en écho aux autres voies du quartier qui portent des noms de monarques [Léopold II et Édouard VII]. Mais il ne voulait pas se mettre en avant et a préféré qu’on la baptise boulevard de Suède”, explique Manfred Ramin, un chef d’orchestre allemand à la retraite, qui a habité la villa avec sa femme cantatrice d’opéra, entre 1984 et 2008.
C’est ce couple de musiciens qui vend la propriété à Panah Jahangirov et Reyhan Huseynova. Mais pas directement. “C’est notre voisin Eldar Garibov, un autre ressortissant azebaïdjanais, qui nous a mis en relation”, se souvient Manfred Ramin. Contacté par le consortium par l’intermédiaire de ses proches et via sa société, Eldar Garibov n’a pas commenté son rôle dans cette transaction. Ce dernier n’est pas n’importe qui à Bakou : il dirige Unibank, l’une des principales banques d’Azerbaïdjan.
Le banquier a d’ailleurs été présenté à France 24, par une source qui a préféré garder l’anonymat, comme le “patron” (terme utilisé) d’un petit cercle de ressortissants azerbaïdjanais habitant à proximité les uns des autres à Villefranche.
En effet, outre Eldar Garibov, qui détient la villa Floriana sur le boulevard Léopold II, la famille d’un autre homme d’affaires d’origine azerbaïdjanais possède une villa sise boulevard de Suède. Où se trouve précisément la villa Santa Monica acquise par Reyhan Huseynova et Panah Jahangirov.
Il s’avère aussi que la villa Santa Monica a officiellement été acquise en 2008 par la Santa Monica Investment, une SARL niçoise, et non par le couple. Manfred Ramin se souvient certes d’avoir rencontré les deux Azerbaïdjanais peu avant la transaction – il décrit Reyhan Huseynova comme “une grande amatrice de musique” –, mais pas de trace de leurs noms sur l’acte de vente.
Les parts de cette société n’ont été cédées à Panah Jahangirov et sa femme qu’en 2011, soit trois ans après la transaction. Et ce n’est là qu’une bizarrerie parmi d’autres dans les montages juridiques et financiers qui vont se succéder à partir de l’acquisition du 2 boulevard de Suède par le couple azerbaïdjanais.
De l’Azerbaïdjan à Villefranche en passant par le Luxembourg
Pour quelle raison, par exemple, des Azerbaïdjanais ont-ils eu recours à une SARL, créée à l’origine par une société luxembourgeoise… elle-même fondée par trois autres entités enregistrées dans le Duché, pour s’acheter une propriété dans le sud de la France ? La plupart des notaires et banquiers ayant participé à ce montage se retrouvent également dans d’autres affaires de transactions financières opaques transitant par le Luxembourg. On y retrouve, par exemple, Jean Bodoni, ancien administrateur d’une filiale de la banque Dexia-BIL (Dexia au Luxembourg), dont le nom apparaît en bonne place dans le scandale des Panama Papers.
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Interrogé par Forbidden Stories, Jean Bodoni assure ne pas se souvenir de clients azerbaïdjanais. Il se mentionne, en revanche, les trois entités, toutes liées à la banque Dexia, utilisées pour fonder Santa Monica Investment. Pas étonnant : Koffour S.A., Valon S.A., Lannage S.A. ont servi à créer des centaines d’autres sociétés anonymes luxembourgeoises, auxquelles ont eu recours de riches clients pour effectuer des transactions en toute discrétion. “A priori, si un résident d’Azerbaïdjan veut acquérir un bien immobilier en France, il n’y a pas de raison de constituer une société au Luxembourg. À moins de vouloir cacher quelque chose, comme son identité, ou dans le contexte d’une planification successorale”, assure Jean Bodoni.
Il peut s’agir de simples raisons de confidentialité – ne pas vouloir exposer au grand jour l’étendue de son patrimoine –, mais “utiliser plusieurs entreprises et sociétés-écrans pour dissimuler l’identité du bénéficiaire effectif d’une transaction [comme l’achat d’un bien immobilier, NDLR] représente un indicateur potentiel de corruption”, souligne Margot Mollat, de Transparency International. Les éléments que le consortium et France 24 ont pu recueillir ne permettent cependant pas d’établir les raisons pour lesquelles le couple à opter pour ce montage luxembourgeois.
La banque Dexia-BIL a également prêté la quasi-totalité du montant de la vente au couple Reyhan Huseynova-Panah Jahangirov, soit 5,5 millions d’euros pour une villa vendue 5,8 millions d’euros. Un sacré risque. “Ils ont dû estimer avoir des garanties suffisantes”, suggère Jean Bodoni.
Une affaire très coton
Panah Jahangirov n’apparaît cependant pas comme un acteur de premier plan du monde politico-économique à Bakou. Son poste le plus en vue, occupé au moins depuis 2015 et jusqu’en 2019, a été exercé au sein du département public des relations interethniques et des affaires religieuses et du multiculturalisme. Impossible de savoir ce qu’il fait depuis. Contacté par le consortium, Panah Jahangirov n’a pas donné suite.
Son épouse a un CV plus prestigieux. Ceux qui l’ont rencontrée l’ont décrite auprès de France 24 et Forbidden Stories comme “très cultivée”, “francophile” et lui prêtent “une certaine influence”. Elle appartient surtout à une famille connue en Azerbaïdjan, pays où le prestige familial a une grande importance. Son père, l’homme politique Kamran Huseynov, a même eu droit à un documentaire à sa gloire, en 2013, pour célébrer le centenaire de sa naissance. Sa sœur Hijran Huseynova a suivi les traces paternelles en politique et a été élue députée du parti présidentiel en 2020. Elle a aussi été décorée de la Légion d’honneur en France en 2010.
La cadette de la famille, Reyhan Huseynova, a elle aussi été honorée par les autorités françaises. En 2016, elle a reçu la Légion d’honneur, puis s’est vu décerner les Insignes d’officier des Palmes académiques en 2021.
De quoi rassurer une banque comme Dexia-BIL ? Les banquiers ont peut-être aussi vu d’un œil intéressé les à-côtés de Panah Jahangirov. À l’époque de l’achat de la villa française et jusqu’en 2010, il était administrateur de Consolidated Equipments, une société luxembourgeoise spécialisée officiellement dans le commerce du coton.
Un secteur d’activité qui rapporte gros ? Peut-être. Surtout, Panah Jahangirov siégeait à la tête de cette société avec Khagani Bashirov, un homme d’affaires franco-azerbaïdjanais, au cœur de plusieurs enquêtes judiciaires notamment en Azerbaïdjan et au Luxembourg. Cet homme, qui brassait d’importantes sommes d’argent, a fait quelques mois de prison entre 2010 et 2011, dans le cadre d’une affaire de détournement de fonds de la Banque internationale d’Azerbaïdjan.
Interrogé par le consortium Forbidden Stories, Khagani Bashirov se rappelle Panah Jahangirov qu’il décrit avant tout comme un “homme d’affaires” ayant fait une grande partie de sa carrière dans le commerce du coton.
Panah Jahangirov, le “spécialiste” du coton, va quitter le navire Consolidated Equipments en 2010, au moment où des scandales vont entacher la réputation de Khagani Bashirov. Pas forcément pour se consacrer à une nouvelle vie sur la Côte d’Azur.
La valse des architectes
Difficile de savoir, en effet, si le couple se rend souvent à la villa Santa Monica après l’avoir achetée. Reyhan Huseynova a bien posté sur Facebook des photos qui correspondent à la vue depuis le jardin de la propriété en 2013 et 2017, et une personne ayant eu affaire à eux a pu confirmer à France 24 les avoir aperçus quelques fois sur place.
D’autres personnes interrogées, ayant préféré garder l’anonymat, jugent leurs visites beaucoup plus sporadiques. L’acquisition a pu faire office de “compte en banque à l’étranger”, estime une source liée à la villa qui a également requis l’anonymat. L’achat d’un bien peut “permettre, entre autres raisons, de disposer d’un refuge à la fois pour une partie de sa fortune et pour soi, dans l’hypothèse d’un changement à la tête de ces régimes instables”, précise Margot Mollat.
Le couple semble, en tout cas, avoir eu des velléités de rénover ou reconstruire la villa et ses dépendances. Du temps du couple de musiciens Manfred Ramin et sa femme, il y avait une grande demeure principale très fleurie et à la décoration intérieure à la fois surannée et tape-à-l’œil. Un chemin à travers les jardins menait à une maison en contrebas, plus petite et pour les invités, qui donnait sur une piscine de 130 m².
Mais, la propriété “était un peu faite de bric et de broc, et si on voulait une demeure un peu contemporaine, c’était difficile d’y arriver avec ce qu’il y avait sur place”, estime une source qui a témoigné sous couvert d’anonymat.
Au fil des ans, plusieurs architectes se sont penchés sur les plans du 2 boulevard de Suède. Au moins trois cabinets ont été sollicités, d’après les informations recueillies par France 24.
Il a été question d’une maison sur plusieurs étages, de la construction d’un immense parking et d’un passage souterrain, relié à la demeure principale par un système d’ascenseurs. Des projets qui auraient pu coûter des millions d’euros supplémentaires, selon des estimations réalisées par des architectes interrogés par France 24.
Shahin Movsumov, l’homme de la villa Santa Monica ?
Des sommes que n’auraient probablement pas eu à payer Reyhan Huseynova et son époux. C’est le dernier rebondissement de la saga Santa Monica : Shahin Movsumov, le puissant patron d’AS Group et véritable propriétaire de la villa sur la Côte d’Azur, entre en scène bien avant le rachat de la propriété par sa société monégasque Boulevard Side en 2019. Son nom apparaît, en effet, sur une demande de permis de construire soumise par le cabinet d’architectes Mialon en 2016 que France 24 a pu consulter.
C’est déjà lui qui, dès 2014, sollicite un architecte et l’invite à Bakou pour discuter de sa vision pour la villa Santa Monica.
L’acquisition par Shahin Movzumov de cette villa relie directement cette propriété aux cercles économique et politique de premier plan en Azerbaïdjan. D’une part, Movzumov est le frère d’un très proche conseiller du président Ilham Aliyev. D’autre part, son conglomérat AS Group a été chargé de projets de construction majeurs dans le pays.
C’est l’une de ses entreprises qui a ainsi érigé le bâtiment hébergeant le Fonds pétrolier national d’Azerbaïdjan, une structure stratégique pour un pays qui dépend largement de ses exportations d’hydrocarbures.
Le nom du patron d’AS Group et véritable propriétaire du 2 boulevard de Suède apparaît aussi dans les Panama papers comme le bénéficiaire d’une société incorporée aux Îles Vierges britanniques en 2012.
C’est donc Shahin Movsumov qui a validé les plans de la future villa Santa Monica dès 2016… sans entreprendre de travaux. Il a fait déposer une deuxième fois le même permis de construire en 2020 – leur durée de validité est de quatre ans –, puis l’a laissé expirer. Et cette fois-ci, la propriété a bel et bien été rasée. Les dernières pierres ont été enlevées en juin 2024, a pu constater France 24 qui s’est rendu sur place. Il ne reste plus que la vue sur la mer… pour l’instant.
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