Jusqu’à 75 % létal, pas de vaccin disponible, des symptômes pouvant inclure une inflammation du cerveau… Lorsque le virus Nipah émerge dans l’actualité, comme c’est le cas aujourd’hui avec deux morts recensés la semaine dernière en Inde, dans la région du Kerala, il a de quoi légitimement effrayer.
Le caractère rare et méconnu du virus est également bien souvent mentionné. Moins ce qui peut ou non faire que ce virus, transmis par l’exposition à l’urine ou la salive de chauve-souris frugivore de du genre Pteropus, puisse ou non émerger.
En tant qu’écologue de la santé spécialiste des zoonoses, cette question fait partie de mes sujets de recherche, notamment au Cambodge, où une équipe pluridisciplinaire dont je fais partie a pu constater que des populations partageaient leur environnement avec des chauves-souris frugivores porteuses du virus Nipah sans pour autant que le virus passe chez les humains.
Alors quels sont les facteurs provoquant ou non une contamination humaine et que pouvons-nous faire pour l’éviter ?
Une corrélation avec la déforestation ?
Le virus Nipah tient son nom du village du même nom dans la région du Negeri Sembilan en Malaisie, d’où était originaire la majeure partie des victimes de la première épidémie connue, en 1999. Épidémie qui demeure aussi la plus grande à ce jour, avec près de 300 cas et plus de 100 morts.
Cette première région d’émergence du virus était, à l’époque, aussi celle d’une des industries d’élevage de porcs parmi les plus prolifiques d’Asie du Sud-Est. Or lors de cette première épidémie, c’est en passant par le porc que les humains, notamment les éleveurs, ont été contaminés. Mais le facteur déterminant de cette première contamination ne se situait pas nécessairement dans les élevages, plutôt à leur bordure, où poussaient un certain nombre d’arbres fruitiers. Des arbres qui ont attiré des chauves-souris frugivores, en quête de nourriture depuis l’émiettement du couvert forestier, leur habitat naturel, du fait de la déforestation.
Un lien a ainsi été posé entre la déforestation et l’émergence du virus : les chauves-souris qui perdent leur habitat naturel vont aller dans des zones agricoles voire dans des zones urbaines et donc se retrouver au contact des populations humaines, ce qui n’était pas le cas avant. Nous avons retrouvé cela également au Cambodge, on l’on a pu observer la résilience de l’espèce Pteropus Iylei, capable de s’adapter à la perte de biodiversité forestière en vivant dans des zones agricoles.
Ce rapprochement géographique favorise les potentielles transmissions vers les humains mais ne suffit pas à l’expliquer. Ainsi au Cambodge, aucun cas n’a été détecté dans les villages où des chauves-souris frugivores porteuses du Nipah sont présentes.
Pour qu’il y ait contamination humaine, il faut une route de transmission du virus de la chauve-souris vers les humains, et c’est notamment un certain nombre de pratiques humaines qui va provoquer cela.
Comment des pratiques agricoles se révèlent déterminantes
Depuis la première émergence du virus Nipah en Malaisie, c’est au Bangladesh que l’on constate le plus d’émergences du virus. Un des principaux facteurs explicatifs de ces foyers réguliers est à trouver dans le mode de production et de consommation de jus de palme. Au Bangladesh, la sève de palmier est récoltée en trouant le tronc des palmiers et en plaçant dessous de grands pots en terre cuite dans lesquels les chauves-souris peuvent venir boire le jus pendant la nuit. Le matin venu, une personne peut ainsi se retrouver à boire du jus frais sans savoir que celui-ci a été contaminé par des chauves-souris qui ont pu, par exemple, uriner dedans, et c’est comme cela que peut advenir une contamination humaine.
Au Cambodge, où l’on n’a pas vu de cas de Nipah émerger parmi les humains, la méthode de collecte du jus de palme est différente. On ne collecte pas la sève des palmiers mais du nectar : les fleurs sont pressées dans de petits conteneurs en bambou ou plastique et c’est beaucoup plus difficile pour les chauves-souris d’y avoir accès. Une différence qui pourrait expliquer l’absence d’émergence.
Un virus qui se transmet encore difficilement d’homme à homme
Concernant le Kerala, les routes de transmission sont encore difficiles à tracer, notamment car lors des dernières émergences du virus, une seule personne était à l’origine de toutes ces contaminations qui touchaient principalement les proches ou le personnel soignant présent autour de ce patient zéro. Or, lorsqu’une seule personne est à l’origine du passage du virus chez l’homme, il demeure très compliqué de savoir si c’est suite par exemple à une consommation de jus de palme ou si c’est via un autre contact avec des chauves-souris frugivores.
Pour l’instant, les foyers indiens et bangladais ont pu être rapidement maîtrisés, du fait de chaînes de transmission inter-humaines limitées et rapidement interrompues avec l’établissement de quarantaines et le traçage des cas contacts. Une tâche plutôt facile lorsqu’il s’agit du virus Nipah, car celui-ci se transmet encore laborieusement d’homme à homme. Là où le Covid peut se transmettre de manière asymptomatique et via des contacts peu rapprochés, la transmission du Nipah est connue pour nécessiter, elle, des contacts rapprochés et engendre des symptômes graves, le plus souvent mortels.
Cependant, plus il y a de transmission vers les humains, plus le risque de voir un virus mieux adapté aux humains émerger augmente. Mais si un variant du virus Nipah évolue et devient plus transmissible aux humains, sera-t-il toujours aussi létal ? Est-ce qu’un passage par un hôte intermédiaire comme ça avait été le cas en Malaisie avec le porc serait nécessaire ? Voici des questions pour lesquelles nous n’avons pour l’instant pas de réponse.
Que faire ou ne pas faire pour mieux maîtriser le virus Nipah ?
Face à la dangerosité potentielle du virus Nipah, il pourrait paraître tentant de se dire que la meilleure chose à faire est de faire partir les colonies de chauves-souris frugivores qui s’implantent à proximité de populations humaines. Cependant, une telle logique se révèle souvent dangereuse et contre-productive, comme le montrent par exemple les tentatives de contrôle de la population de blaireaux responsables des cas de tuberculose bovine en Grande-Bretagne : les campagnes d’abattage mis en place avaient alors surtout provoqué la fuite des blaireaux hors des zones d’abattage et donc la prolifération du virus, puis leur retour, une fois les campagnes d’abattage terminées.
Si cette logique est poussée à l’extrême avec par exemple une hypothétique extermination systématique de la population de chauve-souris d’autres problèmes surgiraient. Outre les inquiétudes éthiques que provoquerait un tel projet, cela mettrait également en péril les activités humaines et les écosystèmes qui bénéficient grandement de la présence des chauves-souris frugivores, pour la pollinisation d’un certain nombre de plantes, et notamment de plantations cultivées par l’homme ou le transport de graines. Il en est de même pour les chauves-souris insectivores qui participent au contrôle des populations d’insectes ravageurs de cultures.
Pour mieux prévenir ce qui conduit à l’émergence du virus Nipah et mieux réagir en cas de transmission vers les humains, il faudrait établir un suivi continu de données environnementales et épidémiologiques, développer des équipes pluridisciplinaires et travailler avec les populations locales à travers des approches participatives pour co-construire des solutions adaptées au contexte socio-économique local. C’est ce que nous tachons par exemple de faire avec le projet Bcoming.
Car les expériences passées montrent qu’il n’est à la fois ni souhaitable ni efficace de tenter d’imposer des systèmes de prévention ou de surveillance aux populations si elle n’en voit pas l’intérêt. Pour la prévention du virus Nipah, une solution simple et peu coûteuse serait de fixer des jupes de protection en bambous autour des pots de collecte, empêchant ainsi la contamination par les chauves-souris. Mais cette solution ne sera adoptée et déployée à grande échelle uniquement si les collecteurs eux-mêmes sont convaincus de son intérêt. Un travail important de dialogue sciences – société reste donc à faire pour mettre en place des solutions de prévention efficaces qui permettront de diminuer durablement les risques d’émergence de maladies zoonotiques.
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