« On ne doit pas penser que ce son des chamailleries entre enfants. » Élisabeth Borne est décidée à « ne rien laisser passer » et présentera d’ici la fin septembre un plan de lutte contre le harcèlement scolaire. Sujet majeur de la rentrée, il submerge le pays d’émotion dès lors qu’un drame se joue, comme à Poissy où début septembre un adolescent a mis fin à ses jours.
Au-delà des la prise en compte des signaux de harcèlement, un volet prévention devrait être présent le plan. Et l’une des pistes réside dans des « cours d’empathie » pour permettre « l’apprentissage du respect de l’autre ». Lors d’une soirée spéciale consacrée à ce thème, le ministre de l’Éducation Gabriel Attal a annoncé le 12 septembre vouloir se rendre bientôt « dans les pays nordiques », où des temps pédagogiques sont dédiés à ces questions.
Des « cours d’empathie » sont notamment proposés en Finlande et au Danemark. Le « Fri for Mobberi » – littéralement « Libéré du harcèlement » – est une méthode venue du Danemark, qui existe depuis 2005. En France, elle est testée depuis la rentrée 2022 dans 18 écoles maternelles du 18e arrondissement de Paris et de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
« C’est un peu réducteur d’appeler ça des ‘cours d’empathie’, c’en est l’une des composantes mais le but est de travailler sur la dynamique de groupe et la communauté tout en développant les compétences socioémotionnelles des enfants », précise auprès du HuffPost Margot Neuvialle, coordinatrice du programme à la Ligue de l’enseignement de Paris.
Fort de cette première expérience en France, la méthode a été déployée en cette rentrée 2023 dans de nouvelles écoles des 19e et 20e arrondissements de Paris, ainsi qu’à Eragny (95) et Montreuil (93). Toujours en partenariat avec les deux ONG qui gèrent le programme au Danemark. Un projet pilote en crèche a également été lancé cette année dans le 18e et à Saint-Ouen.
Ateliers et outils concrets
Le « Fri for Mobberi », à destination d’enfants de la crèche jusqu’à 9 ans, lutte donc contre le harcèlement scolaire grâce à des moments de discussions pédagogiques avec les élèves, des ateliers et des outils concrets. Les enseignants utilisent par exemple des planches de discussions.
« Ce sont des planches cartonnées format A3, où au recto il y a une image, un dessin d’une situation quotidienne que les enfants pourraient rencontrer à la maternelle, par exemple un copain qui se fait un bobo ou un enfant qui gribouille sur le dessin d’un autre, détaille Margot Neuvialle. Et puis au verso il y a des propositions de questions pour les professionnels, pour travailler le vivre-ensemble à l’école. »
Autre exemple donné : l’image d’une petite fille habillée en salopette verte, face à trois autres qui sont en robe et qui l’excluent de leur groupe. « L’idée c’est de faire prendre conscience aux enfants de tout ce que ça implique, le fait d’être dans un groupe, avec des habitudes et des intérêts en commun », explique-t-elle.
Autre bénéfice qu’elle a pu noter tout au long de l’année : un impact positif sur le développement du langage oral des enfants et le dialogue. « On a vu des petits s’identifier aux images sur les planches et prendre la parole alors que d’habitude ils ne parlaient jamais, raconte-t-elle. Avant de faire preuve d’empathie, il faut déjà être capable de comprendre ses émotions et de lire celles de l’autre. »
« Livret de massage »
Dans le kit, les enseignants peuvent aussi trouver notamment des jeux de groupe et un « livret de massage ». « Le terme ‘massage’ n’est pas du tout employé dans un sens thérapeutique, précise Margot Neuvialle. De nombreuses recherches montrent l’importance du toucher, qui permet de libérer une hormone, l’ocytocine, qui permet de favoriser le lien d’attachement. » L’idée n’est donc pas que les enfants se fassent des massages à proprement parler mais qu’ils s’amusent en dessinant avec leurs doigts dans le dos les uns des autres.
Ce n’est bien entendu pas obligatoire et cela permet aussi de rendre concrète la notion de consentement. « C’est très ritualisé : l’un des enfants demande à l’autre s’il veut bien lui prêter son dos, quand il dit non il doit être respecté, et ensuite le premier enfant remercie l’autre de lui avoir prêté son dos », détaille-t-elle. Le livret danois a par ailleurs été adapté pour correspondre davantage à la culture française. « On n’a pas le même rapport au toucher qu’au Danemark, souligne Margot Neuvialle qui y a vécu et travaillé pendant sept ans. Là-bas, le toucher est plus libre et plus développé. »
Pour elle, cet exercice permet de travailler sur le fait d’être capable d’exprimer des limites, mais aussi d’avoir une écoute active et de respecter celles de l’autre. Certains enseignants ont pu exprimer des craintes, au début, sur le fait de faire appel au toucher, « mais une fois qu’on leur explique la graduation, le fait que les enfants puissent aussi ne faire que de l’auto-massage s’ils le souhaitent ou ne rien faire du tout, ils sont soulagés », reconnaît-elle.
Dans chaque classe, une mascotte – l’ami ours – incarne les valeurs du respect, de la bienveillance, de la tolérance et du courage. Les enfants peuvent aller le voir quand ils ont un chagrin et lui raconter ce qu’il se passe ou le donner à un camarade pour le consoler.
Étude d’impact
Au Danemark, le programme a été mis en place dans 60 % des crèches et écoles maternelles et 45 % des écoles élémentaires. « Une étude d’impact a été réalisée en 2017 qui a montré qu’il existait une corrélation positive significative entre l’utilisation du programme et l’indice d’empathie des enfants, ainsi que la capacité des enfants à gérer les conflits par eux-mêmes », affirme Margot Neuvialle.
La Ligue de l’enseignement travaille en partenariat avec un chercheur en psychologie à l’Université de Paris 8, qui évalue scientifiquement l’impact de la méthode en France. Une obligation imposée par les ONG danoises à l’origine du projet. Pour le moment, ce n’est que le début de l’évaluation. Aucune publication n’est prévue avant la fin de l’année 2024.
Ceux qui la testent la voient comme un vrai outil de prévention contre le harcèlement scolaire. « Le but c’est de réduire au maximum l’occurrence les situations de harcèlement. De faire en sorte que les enfants soient bien, se respectent et se sentent en sécurité dans un groupe », conclut Margot Neuvialle.
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