Le coup d’État au Niger, le 26 juillet, a été une surprise tant pour les Nigériens que pour le reste du monde. Cette surprise peut s’expliquer par trois raisons.
La première concerne le fait qu’aucun événement ou situation récent (attentat terroriste, tension sociale, blocage politique, etc.) n’était susceptible de déboucher sur un coup de force.
La deuxième raison est que de nombreux Nigériens pensaient qu’un coup d’État avait peu de chances d’aboutir, car le parti au pouvoir avait réussi à contrecarrer plusieurs tentatives.
La troisième et dernière raison est la forte présence de troupes étrangères (françaises et américaines) sur le territoire nigérien. Cela pouvait laisser penser que ces puissances étrangères feraient tout pour éviter un scénario malien ou burkinabé au Niger. De ce point de vue, la particularité de ce coup d’État est d’avoir interrompu la première transition démocratique d’un président élu à un autre président élu au suffrage universel.
Le caractère surprenant et le contexte dans lequel s’est déroulé le coup d’État du 26 juillet, ont engendré toutes sortes de théories du complot et des rumeurs, dans les rues de Niamey et dans les médias étrangers, pour tenter d’en expliquer les raisons. Parmi les versions qui circulent, figure celle accusant la Russie ou le groupe Wagner, d’avoir fomenté le putsch ou l’ancien président Issoufou Mahamadou d’être complice de Abdourahmane Tchiani en raison de leur proximité.
En tant que chercheurs travaillant sur les dynamiques sociales et politiques au Sahel, nous pensons que pour analyser les raisons réelles qui ont conduit à ce putsch, il faut comprendre la relation entre le président Mohamed Bazoum et le commandant de la garde présidentielle Tchiani, et le lien que ces deniers entretiennent avec leur mentor, l’ancien président Issoufou Mahamadou.
De l’opposition politique au pouvoir
Issoufou Mahamadou est le président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) depuis sa création en 1990. Il a réussi à constituer un large cercle de partisans et un vaste réseau à l’intérieur et à l’extérieur du pays, faisant de lui l’un des principaux acteurs de la vie politique nigérienne.
Issoufou a également réussi à faire de sa région natale Tahoua, située dans le nord-ouest du pays, non loin de la frontière malienne, son principal fief politique. Bazoum, qui était la deuxième personnalité du parti depuis sa création, avait gardé un profil bas dans le parti. Ce qui a empêché toute division au sein de cette organisation. Bazoum, a plusieurs fois déclaré, son entière confiance et sa ferme fidélité à Issoufou Mahamadou.
Bazoum a toutes les raisons d’afficher sa loyauté, envers celui qui l’a imposé comme candidat à sa succession, malgré l’opposition d’une frange du parti. L’opposition a aussi attaqué la candidature de Bazoum à la justice, soulevant la question d’éligibilité liée à l’authenticité de son certificat de naissance.
Une fois au pouvoir, Bazoum s’est retrouvé piégé par les ingérences de son prédécesseur. Mahamadou Issoufou a toujours voulu garder la main sur le pouvoir. Malgré ses deux mandats à la tête de l’État (2011-2021), il a maintenu ses proches aux postes clés de l’État, après l’accession de Bazoum au pouvoir. L’exemple le plus illustratif est le cas de son fils Sani Issoufou, qui détenait le portefeuille du ministère des mines et du pétrole dans le gouvernement d’Ouhoumoud Mahamadou.
Ce dernier, est aussi un des fidèles d’Issoufou. De plus, dans ses discours, Bazoum a toujours insisté sur la continuité de la gestion d’Issoufou en qualifiant son mandat de “renaissance acte trois”. Mais dans ses actions, il s’est démarqué de la politique de son successeur en faisant de la lutte contre les détournements de deniers publics sa priorité et en changeant la politique sécuritaire du pays.
Se défaire de l’étau
Cette nouvelle politique a suscité le mécontentement au sein de son parti, notamment certains milieux d’affaires qui ont vu leurs intérêts menacés. C’est par exemple, sur instruction du président Bazoum, que certaines personnes proches de l’ancien régime Issouffou ont été traduites en justice pour détournement de fonds publics.
Sur le plan sécuritaire, il y a eu l’arrivée massive de militaires français, mais aussi de nouveaux acteurs civils au palais présidentiel, désormais en charge des questions de sécurité, comme son conseiller spécial avec rang de ministre, l’ancien chef rebelle touareg, Rhissa Ag Boula. Cette nouvelle approche sur le plan sécuritaire, a engendré un malaise au sein de l’armée qui s’est vue reléguée au second plan. Bien avant le coup d’État, certains hommes d’affaires proches du parti au pouvoir ont fait part de leur mécontentement, face à la gestion de Bazoum, car ils n’avaient plus accès aux marchés publics comme c’était le cas à l’époque d’Issoufou.
Bazoum comptait s’appuyer sur des acteurs locaux et des partenaires extérieurs, pour assurer la sécurité de son pays. Une démarche mal accueillie par l’armée, et au premier rang le commandant de la garde présidentielle, qui a eu du mal à accepter le nouveau changement de politique de son nouveau patron.
Plusieurs sources ont indiqué que le commandant de la garde présidentielle, le général de brigade Tchiani, qui se voyait de plus en plus exclu de la gestion de l’Etat, s’en est plaint à son véritable chef, l’ancien president Issoufou Mahamadou qui l’a maintenu à son poste qu’il occupait de 2011 jusqu’au 26 juillet, le jour du coup d’État.
Conscient du contexte propice au changement, Tchiani réussit à rallier l’armée à sa cause et à obtenir le soutien d’une partie de la population de Niamey, opposée à la gestion clanique du PNDS. C’est ainsi que le Niger a tourné le dos à ses alliés occidentaux, pour se rapprocher des régimes de Bamako et de Ouagadougou.
Soutien de la jeunesse
Le succès de ce putsch est dû à la détermination du général Tchiani. Dès le premier jour du putsch, certains observateurs avaient cru qu’il allait renoncer à sa tentative grâce à la médiation de son chef, Mahamadou Issoufou. Mais ce dernier, n’a pas réussi à faire reculer Tchiani. Finalement, un compromis fut trouvé entre les différents corps de l’armée pour éviter tout affrontement.
La détermination du général Tchiani, à la tête du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), lui a permis non seulement de rallier l’armée à sa cause, mais aussi de faire échouer toute tentative de médiation. Le bras de fer qui a débuté le premier jour entre le CNSP et la France – en raison de la reconnaissance de Bazoum comme seul président légitime par Paris – a largement contribué à susciter le soutien de la jeunesse, qui s’est mobilisée pour soutenir le CNSP et exiger le retrait des forces françaises stationnées dans le pays, pour protester contre les sanctions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao). Les agissements de la France et de la Cedeao ont donc poussé en quelque sorte le général Tchiani à envisager une rupture avec les Occidentaux.
S’inspirer du cas malien
Tchiani semble déterminé à rester au pouvoir, eu égard aux échecs de la diplomatie. La junte de Niamey semble prendre le même chemin que le Mali et le Burkina Faso. Quelques jours après la prise du pouvoir à Niamey, les putschistes regroupés au sein du CNSP ont rapidement dépêché une importante délégation à Bamako et Ouagadougou, avec à leur tête le numéro deux de la junte, l’ancien chef d’état-major général Salifou Mody.
Les déclarations de soutien se poursuivent et les visites de délégations se sont intensifiées entre les trois pays. Tout comme au Mali, la stratégie des militaires à Niamey est de rassembler les Nigériens au tour d’un nationalisme qui permet de galvaniser les foules et en même d’asseoir leur pouvoir politique.
L’opinion nigérienne ignore encore le projet politique, économique, culturel et social des militaires. L’approche sécuritaire semble être la rupture avec la France, comme ses deux voisins auparavant. Si la junte continue sur sa lancée actuelle, le Niger connaîtra probablement un scénario à la malienne.
La question de l’intervention militaire de la Cedeao et la présence de militaires français au Niger sont les deux principales ressources politiques que le CNSP mobilise en sa faveur. Dès ses premiers communiqués, le CNSP s’en est pris à la France en dénonçant des “efforts de déstabilisation et de violations des frontières nigériennes”. Le CNSP a aussi dénoncé tous les accords militaires et de défense signés avec la France.
A contrario, les déclarations des autorités françaises rejetant toute option de quitter le territoire nigérien, renforcent le sentiment souverainiste au sein de l’opinion publique locale.
La marge de manœuvre de la Cedeao semble très réduite dans cette nouvelle crise politique. Elle joue peut-être sa dernière carte de crédibilité. Le discours de “rétablissement de la démocratie”, est devenu dans le discours des putschistes, celui d’une “attaque contre le Niger”.
La présence militaire française est de plus en plus contestée en Afrique, comme en témoignent les manifestations devant sa base au Niger. La diplomatie française ne semble pas avoir tiré les leçons de ses échecs précédents. Elle gagnerait beaucoup à se faire plus discrète. Plus elle est visible, plus elle renforce les autorités militaires nigériennes.
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