« Le football féminin est une partie de l’avenir du football » : voilà ce que déclarait au printemps dernier Philippe Diallo, nouveau président de la Fédération française de football (FFF), qui s’est engagé à contribuer, durant son mandat, au développement du football féminin en France.
Plus précisément, il s’agit de relancer ce développement, paradoxalement coincé entre, d’une part, une nette augmentation du nombre de licenciées depuis le début du XXIe siècle (ce nombre a été multiplié par plus de cinq en 20 ans, pour dépasser les 200 000 actuellement) et, d’autre part, une certaine insuffisance sur le plan de la performance sportive (absence de podium à l’Euro et à la Coupe du Monde pour la sélection nationale, recul de la domination exercée par l’OL sur la Ligue des Champions).
C’est ainsi qu’une restructuration nationale des championnats est mise en œuvre à partir de la saison 2023-2024, avec la mise en place de trois divisions nationales (contre deux auparavant) et la perspective d’une réelle professionnalisation de la pratique. La question des salaires des footballeuses surgit au cœur de ce processus.
Recontextualiser les inégalités salariales
Évoquer les inégalités salariales, c’est, dans un premier temps, aborder une réalité sociétale. Selon l’Insee, en 2021, l’écart de revenu salarial moyen entre hommes et femmes dans le secteur privé est de 24 % (mais seulement de 4 % à temps de travail égal).
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Le football professionnel affiche des écarts incommensurablement plus élevés. En effet, Kylian Mbappé, le joueur le mieux payé de L1, gagne quelque 6 millions d’euros par mois ; la footballeuse la mieux payée de France, Marie-Antoinette Katoto, gagne, elle, environ 50 000 euros mensuels. En moyenne, d’après Arrondel et Duhautois (2018), le salaire annuel des joueuses serait plus de 26 fois inférieur à celui des joueurs. En outre, chez les hommes comme chez les femmes, il existe de grandes disparités au sein des championnats en termes de salaires, d’après ces mêmes auteurs.
« Comme pour les garçons, mais à une échelle différente, il existe un effet “superstar” dans les rémunérations du football féminin. […] Une grande partie des salariés gagnant moins que la moyenne des salaires, ce sont, par conséquent, les quelques superstars qui captent une grande partie de la rente : comme disent les économistes, “the winner takes all”. »
C’est bien le cas en première division féminine, dite D1 Arkema, avec les deux poids lourds que sont le PSG et l’OL.
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Enfin, l’inégalité de salaire se double d’une inégalité de statut. Si l’ensemble des joueurs de Ligue 1 et Ligue 2 sont professionnels (avec bien sûr des niveaux de rémunération variables), le statut des joueuses entre elles est bien différent. Le statut professionnel « confortable » dont bénéficie l’élite de la D1 Arkema contraste fortement avec celui des joueuses de D2, contraintes d’accepter des rémunérations s’apparentant à des « revenus précaires » entre frais de déplacement, primes de match et encadrement des jeunes – l’éventail est très large.
Le statut des joueuses : un frein à l’équilibre financier des clubs
Selon Dalmont et Falcoz (2016), « il convient de souligner la difficulté pour les instances sportives de proposer un cadre structurant et abouti pour ces situations de travail entre amateur et professionnel. Cela se manifeste dans la manière d’appréhender le sportif amateur rémunéré ». Tout en reconnaissant que le sport amateur n’est pas tout à fait amateur, ils souhaitent préserver l’amateurisme originel, socle fondateur de la pratique sportive.
Cette situation ambiguë agite depuis des décennies le sport universitaire américain : le statut de l’athlète de NCAA (National Collegiate Athletic Association) est officiellement « amateur », alors que certaines équipes de football américain en NCAA remplissent des stades de 100 000 places, sont diffusées à la télévision nationale et signent des contrats de sponsoring à plusieurs millions de dollars. Cette situation a récemment changé, les athlètes pouvant être rémunérés en tirant des revenus de leur nom et leur image à partir de 2023.
Dans le football féminin, c’est bien au cœur de cette contradiction que certains clubs se trouvent coincés : obligés d’assurer des dépenses importantes au niveau national (déplacements, salaires, primes de matches…) pour espérer être concurrentiels, ils sont finalement rattrapés par la fragilité de leur structure. C’est ainsi que la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) impose régulièrement un « encadrement de la masse salariale » ou, pis, des « rétrogradations administratives » en division régionale pour les clubs ne satisfaisant pas aux critères financiers. L’instance de contrôle demande pour chaque début de saison des comptes équilibrés, afin d’éviter que les clubs croulent sous les déficits et les dettes impossibles à assumer. Pour remplir cette mission, les clubs sont auditionnés au moins une fois par an.
L’équilibre financier d’un club professionnel est depuis longtemps questionné par les chercheurs, car les coûts (les salaires) sont souvent trop élevés. Le club génère quatre revenus d’activité : la billetterie (revenu historique depuis la fin du XIXe siècle) ; les droits médias (essentiellement TV, mais de plus en plus les droits digitaux/Internet) ; le sponsoring et les « business seats » (loges VIP) au stade ; et enfin le merchandising, autrement dit la vente de produits dérivés (en grande partie les maillots).
De manière générale, la billetterie est devenue minoritaire et la télévision a pris une place considérable, rendant certains clubs fragiles (en cas de relégation notamment, le club perd de facto la moitié de ses ressources).
Source : DNCG, 2023.
Sans cette manne des droits TV, les autres sports professionnels souffrent parfois et doivent trouver d’autres leviers de financement. Ainsi, le basket et le handball professionnel pourraient difficilement survivre sans les subventions, alors que le rugby doit son salut à son important financement.
La conséquence d’une faible médiatisation
Si en France, l’écart entre les revenus des hommes et des femmes est de 1 à 26, il monte à 43 en Allemagne et à 113 en Angleterre. Dans le tableau ci-dessous, on constate que l’écart subsiste aux États-Unis entre la MLS (la ligue de football féminine) et la WMLS (la ligue féminine) car les chiffres sont de 2017-2018. Il faudra vérifier si les choses évoluent dans le bon sens, alors que les femmes ont obtenu gain de cause en matière d’égalité salariale au niveau de l’équipe nationale en 2022. On peut donc parler d’égalité au niveau des primes touchées en équipe nationale, mais cela ne concerne pas les championnats.
Souvent, les experts du sport business expliquent cette différence salariale en argumentant que les audiences du sport féminin sont basses, donc l’exposition pour les sponsors faible, et la rentabilité pour les télévisions tout aussi faible, ce qui se traduit par des droits de retransmission proches de zéro. Il n’y aurait donc finalement pas d’« injustice » notoire : les lois du marché seraient sans pitié et somme toute logiques.
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Tout d’abord, il faut noter que cette injustice est avant tout liée à la moindre exposition du sport féminin. L’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel français, a recensé l’ensemble des compétitions sportives masculines, féminines et mixtes diffusées à la télévision entre 2018 et 2021. Sur l’ensemble de cette période, marquée par la crise du Covid-19, la part du sport masculin est seize fois plus élevée que celle concernant le sport exclusivement féminin, qui ne concerne que 4,5 % du total des diffusions de compétitions sportives.
Ainsi, quand le sport féminin est bien exposé, sur des chaînes généralistes et/ou de grande écoute, à des horaires favorables, il obtient de très bons résultats d’audience. Il y a donc un vrai travail à réaliser de la part des médias : c’est l’offre qui est motrice et stimule la demande. On retrouve ce même phénomène dans le sport masculin : quand le handball et le basketball (français) sont retransmis sur les grandes chaînes lors des grandes compétitions internationales, ils rencontrent bien leur public, alors que durant l’année ces deux sports sont retransmis sur des chaînes spécialisées à des horaires plus confidentiels.
Sans cette exposition, les femmes ne rattraperont jamais l’écart avec les hommes en matière de rémunération, surtout pour les sports d’équipe.
De ce point de vue, l’entrée de la basketteuse américaine Candace Parker dans le top 10 des sportives les mieux payées au monde en 2021, – alors que les stars américaines de football Alex Morgan et Megan Rapinoe ont manqué de peu d’y figurer – est particulièrement encourageante, Parker pratiquant un sport d’équipe, où les salaires sont inférieurs aux montants disponibles dans les sports individuels.
D’ambitieuses perspectives d’évolution
Récemment, les annonces de développement du football féminin faites par Philippe Diallo tracent une évolution à moyen terme allant dans le sens d’une amélioration de la pratique, sans doute avec davantage d’enjeux sportifs, une couverture médiatique meilleure et, conséquemment, une amélioration de la condition de vie des footballeuses, dans un sens plus large, en France.
Ainsi, il est prévu de voir éclore une D1 Arkema à 12 clubs avec instauration de play-offs en fin de saison pour la course au titre et la qualification à la Ligue des Champions féminine, le passage à une poule de D2 unique et la création d’une troisième division nationale à laquelle les centres de formation pourraient participer.
Certaines ligues, comme en Australie, ont déjà progressé vers cette égalité de salaires en instaurant un salaire minimum équivalent entre les hommes et les femmes.
Le débat est donc aujourd’hui partagé entre le fatalisme – ou le cynisme – de l’ancienne internationale Jessica Houara qui avance que « le foot est une économie et les clubs sont des entreprises. Quel club va sortir des gros chèques alors que le retour sur investissement est nul, voire négatif ? » et l’idéalisme américain incarné par Megan Rapinoe, ex-capitaine de la sélection américaine, qui a obtenu de sa fédération la ratification d’une nouvelle convention collective garantissant une rémunération égale entre joueurs et joueuses en sélection.
Même s’il ne s’agit pas des mêmes types de rémunération, la question de l’équité hommes-femmes demeure au cœur de cette réflexion.
Le Mondial 2023 qui vient de s’achever aura notamment été marqué par des audiences très élevées dans certains pays. Peut-être cette compétition sera-t-elle une étape de plus vers une métamorphose éthique et économique qui verrait le football féminin être autant diffusé que le football féminin, et les femmes rémunérées à la même hauteur que les hommes ?
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