Ce sont près de 21 millions « participations bénévoles » – un même bénévole pouvant avoir plusieurs participations – qui irriguent le monde du bénévolat selon l’Insee. Ces « participations » représentant 580 000 emplois en équivalent temps plein dans 1,25 million d’associations (là où a traditionnellement lieu l’activité bénévole).
Plus récemment, on observe une montée de groupes informels : collectifs radicaux, ZAD, réseaux sociaux, gilets jaunes, engagements à la carte. Les bénévoles s’y engagent sans contrepartie financière, librement et pour aider d’autres personnes, y compris pour la gestion administrative de ces structures et souvent pour défendre une cause. Ce phénomène a pris beaucoup d’ampleur depuis plusieurs décennies. Les motifs ? Un désir d’aider les autres (matériellement ou psychologiquement), une envie de lien social, d’être un citoyen actif ou de militer, parfois parce qu’on est concerné (associations de malades). Beaucoup de secteurs attirent les bénévoles : droits humains, écologie, culture, patrimoine, sécurité, etc.
Multiplication des dispositifs de travail bénévole
Cette attraction pour le bénévolat est encouragée par l’État. Au-delà des atouts fiscaux traditionnels dont les associations bénéficient sur les dons (66 % de réduction) et sur leur imposition, l’État utilise les bénévoles pour mettre en œuvre ses politiques climatiques, antiterroristes ou démographiques, etc. Pour cela, il « désétatise » et délègue des missions d’intérêt général aux associations, et même à des structures lucratives.
Créées par une loi de 2001, les Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) où collaborent des associations, des collectivités territoriales et des entreprises sont de plus en plus plébiscitées. La loi Économie sociale et solidaire de 2014 a créé l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale ». La loi dite Pacte de 2019 a imposé de prendre en considération les impacts sociaux et environnementaux, et encourage les sociétés à but lucratif à « redéfinir leur raison d’être ».
La loi « Égalité Citoyenneté » de 2017 augmente les « réserves » de la Police nationale qui sont constituées de bénévoles directement mobilisables par l’État. Elle crée aussi les « congés d’engagement » ouverts aux salariés et aux agents publics 6 jours/an. En parallèle, les dispositifs de démocratie participative se développent : conseils citoyens (créés en 2014, renforcés en 2017), conventions citoyennes, grands débats, budgets participatifs, conseils (de quartier, des enfants, des sages, de développement), projets de référendums (RIP, RIC).
Les jeunes particulièrement ciblés
Pour « bénévoliser » les jeunes, les statuts de « volontaire » et de « service civique » ont été créés en 2006 et 2010 pour mener des actions d’intérêt général (en échange d’une indemnisation de 610 euros par mois). Depuis 2017, pour valider leur cursus étudiant ou scolaire, les jeunes doivent avoir acquis des compétences lors d’un engagement citoyen, bénévole ou d’une activité professionnelle. Les mineurs peuvent participer à la création et à l’administration d’association. Le Service National Universel – dans le programme du candidat Macron – devrait être intégré au temps scolaire sur la forme d’un stage de 12 jours.
Les jeunes de moins de 30 ans peuvent également participer à l’« adaptation de la société au vieillissement » (loi de 2015), en utilisant le statut de « Cohabitation intergénérationnelle solidaire ». Parmi les dispositifs numériques, particulièrement pratiques pour les jeunes, on peut citer la plate-forme jeveuxaider.gouv.fr lancée le 22 mars 2020, soit six jours après le début du confinement. Selon beaucoup d’associations la crise sanitaire a incité au bénévolat.
Ces dispositifs rencontrent-ils du succès ?
Le nombre de « recrutements » n’est pas toujours à la hauteur des ambitions. La ministre de l’Éducation nationale se vantait ainsi de compter 5 400 réservistes à la fin 2015, mais cette réserve est inactive.
À l’inverse, la demande de 45 000 bénévoles pour les JO 2024 – qui a été dénoncée par un collectif (notamment pour cause de travail dissimulé) – a trouvé 300 000 candidatures.
Sur la plate-forme jeveuxaider.gouv.fr, on comptait en mars 2022 6700 associations, 1000 organisations publiques, 1650 collectivités territoriales et 30 écoles et universités partenaires. 400 000 bénévoles y étaient inscrits (dont 21 % de 16-24 ans) mais seules 140 000 participations à des missions y avaient été confirmées.
En juin 2023, on constate un triplement du nombre de bénévoles engagés pour faire du bénévolat pendant l’été par rapport à l’année précédente (5530 bénévoles engagés auprès de 737 structures différentes). Cette nette augmentation peut en partie s’expliquer par le fait qu’en 2022 il n’y avait pas eu de campagne de communication pour recruter des bénévoles estivaux. De manière générale, on ne constate pas de grand élan vers ces plates-formes : les volontaires s’investissent plutôt dans le sport ou lors d’actions urgentes en cas de catastrophes.
Le bénévolat a changé
On note plusieurs évolutions – certaines accélérées par la crise sanitaire – qui rendent troubles et floues les limites de la définition du bénévolat et de l’action des bénévoles :
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Rajeunissement des bénévoles grâce au statut de volontaire, qui améliore l’image d’un engagement civique, mais aussi grâce au bénévolat ponctuel facilité par les plates-formes numériques.
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Numérisation qui permet de participer à la vie associative depuis son domicile.
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Professionnalisation des bénévoles mieux qualifiés du fait du suivi de formations, de l’existence de chartes et contrats, référentiels de compétences ou guides. Cette professionnalisation – facilitée par la loi de modernisation sociale de 2002 consacrant la Validation des acquis de l’expérience – est une nécessité pour répondre aux appels à projets qui financent toujours plus le « monde associatif ». Les bénévoles deviennent parfois difficiles à distinguer des salariés.
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Gratuitisation de temps de travail de certains professionnels (pression à étendre le temps, les tâches et l’espace attribués au travail rémunéré, sans être rémunéré en contre-partie de cette extension). Cette gratuitisation a particulièrement lieu au sein des jeunes entreprises) et dans le secteur médico-social (professions du care, formation, insertion sociale, aide pour le droit des migrants, des demandeurs d’asiles et des groupes sociaux en difficulté.).
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« Bénévolisation » des services publics – y compris les services régaliens –, de l’économie sociale et solidaire et des entreprises traditionnelles. Au motif d’un travail au service de la communauté, certaines organisations « recrutent » désormais des bénévoles là où on faisait autrefois appel à des professionnels rémunérés. Une forte pression au nom de valeurs et d’impératifs de solidarité s’exerce sur ces « volontaires involontaires ».
Du bénévolat dans le service public
Les bénévoles sont par exemple très sollicités dans le secteur juridique. Ils agissent dans les tribunaux (médiateurs, conciliateurs, jurés, juges consulaires), les établissements pénitentiaires, les points d’accès au droit (pro bono d’avocats) ou les mairies (en appui des commissions et conseils municipaux).
Idem dans le médico-social, où les bénévoles interviennent beaucoup dans les hôpitaux et les hébergements collectifs. Ils accueillent des personnes âgées ou handicapées, des enfants hospitalisés, des patients en longue maladie ou en fin de vie.
Du fait du manque de moyens dans ce secteur, des tensions surviennent. Les bénévoles invisibilisés sont mal connus et quelquefois mal perçus. C’est une différence avec les urgences et lors des périls collectifs où leur rôle est reconnu voire héroïsé aux côtés des pompiers ou des services de premiers secours comme la Croix-Rouge.
Pourquoi accepter de travailler gratuitement ?
Les motivations à l’engagement sont plurielles, surtout quand il n’y a pas d’emploi. Les bénévoles du 3ᵉ âge – moins nombreux du fait de la réforme des retraites – sont motivés par l’éthique, par altruisme, par un besoin de socialisation et d’échapper à une « mort sociale ».
Les plus jeunes peuvent vouloir acquérir une expérience et un meilleur CV mais aussi travailler pour une mission qui les attire (festival de théâtre, de musique, sport). On peut voir aussi dans l’engagement une attitude anthropologique de solidarité active et citoyenne, surtout quand elle s’exerce sous l’aile de l’État.
Les bénévoles exploités ?
Mais on peut s’interroger sur la pression des services publics – via les différents dispositifs précités – pour engager cette force bénévole. Dans quelles limites est-elle acceptable ?
Certaines recherches sur le bénévolat soulignent un excès dans l’utilisation des bénévoles, voire leur « exploitation » et leur « marchandisation », d’où une récente grève de bénévoles compagnons d’Emmaüs (ce type d’action n’était jusqu’ici qu’une hypothèse).
De multiples critiques sont émises lorsque le gouvernement actuel et certains responsables politiques ou administratifs régionaux (Nicolas Sarkozy en 2007, Emmanuel Macron en 2018) souhaitent obliger à travailler « bénévolement » des bénéficiaires du RSA.
Ces projets politiques et les critiques du bénévolat n’entachent pas le rôle et l’importance du bénévolat. En effet, les bénévoles agissent avant tout par solidarité et subsidiarité. Le problème est moins le bénévolat que son extension toujours plus large, y compris dans de grandes institutions et sans régulation. Quand des citoyens peuvent contribuer gracieusement à une action, pourquoi rémunérer des personnes pour la faire ? L’argument de la compétence et de la qualification tombe quand les bénévoles sont formés. Celui des bénévoles « voleurs d’emplois » ne tient pas, car il ne s’agit pas d’un même travail, ni d’un même engagement en temps. Même si on peut parler de « banalité du bien », le trouble demeure.
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