L’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, tant attendue pour son format innovant au cœur de la capitale, a suscité de nombreuses polémiques. Parmi celles-ci, la prestation de la Musique de la Garde républicaine aux côtés de la chanteuse franco-malienne Aya Nakamura a particulièrement retenu l’attention.
Cette séquence, riche en symboles, qu’il s’agisse de la toile de fond de l’Institut de France – qui abrite l’Académie française – pour une artiste qui essuie de nombreuses critiques sur son usage de la langue française, ou du choix de la chanson « For me Formidable » de Charles Aznavour, fils d’émigrés arméniens qui fut l’artiste français le plus connu en dehors du monde francophone, se métissant aux titres phares d’Aya Nakamura sur le Pont des Arts, n’a pas manqué d’éclabousser les musiciens de la Garde républicaine. Suspectés d’avoir été forcés à se produire, voire de se ridiculiser à cette occasion, leur chef, le capitaine Frédéric Foulquier, doit « faire taire les mauvaises langues » par voie de presse, racontant l’expérience incroyable vécue par les musiciens. Mais cette collaboration était-elle réellement si surprenante ? Loin de là. La Musique de la Garde républicaine est depuis longtemps un vecteur essentiel de la culture populaire, au-delà de sa mission militaire.
Une tradition militaire au service de la culture
Composée exclusivement d’instruments à vent et à percussion, la Musique de la Garde républicaine se divise en deux ensembles principaux : la batterie fanfare, avec ses clairons et tambours, et l’harmonie, composée d’instruments à bois, cuivres et percussions. Ces formations ont une fonction historique : la batterie fanfare servait autrefois à transmettre les ordres sur le champ de bataille, tandis que l’harmonie rythmait les pas des soldats lors des défilés et donnait de l’éclat aux cérémonies militaires, fonction qu’elle conserve encore aujourd’hui. En plus de ces deux ensembles, la Garde républicaine comprend une fanfare de cavalerie, un orchestre combinant harmonie et cordes, ainsi que le Chœur de l’Armée française qui, bien qu’interarmées, est rattaché à la Garde républicaine.
Les gendarmes de la Musique de la Garde républicaine ne sont naturellement pas des gendarmes comme les autres. Ils doivent certes satisfaire aux conditions communes à tous les candidats sous-officiers et posséder un ensemble de connaissances générales d’un niveau suffisant, mais aussi posséder les titres ou qualifications exigés : un diplôme de fin d’études des conservatoires nationaux, régionaux ou d’une école nationale de musique. Ces exigences sont les mêmes pour tous les instruments. Les épreuves de sélection, organisées et conduites par la Garde républicaine, comportent une épreuve technique musicale, éliminatoire, suivie d’une visite médicale de sélection. Les lauréats de cette sélection n’effectuent pas de scolarité en école de sous-officiers, mais rejoignent directement l’orchestre de la Garde républicaine pour une période probatoire d’un an.
Une mission au-delà des honneurs militaires
Depuis 1945, la Musique de la Garde républicaine est la formation militaire officielle du chef de l’État, jouant un rôle central lors des cérémonies présidées par le président de la République, des visites d’État et d’autres événements officiels. Le sociologue Denis Fleurdorge, spécialiste des rites et mythes politiques, souligne que cette fonction politique de la Musique doit être rapprochée du statut du président de la République comme chef suprême des Armées. Elle assure également les cérémonies militaires au Sénat, à l’Assemblée nationale, à l’Institut de France, ainsi que celles organisées par la Gendarmerie nationale.
Son histoire remonte à la création, en 1802 par le consul Bonaparte, d’une batterie, les Tambours de la Garde, pour chaque régiment de la Garde municipale de Paris. Elle est rattachée depuis 1978 au 1er Régiment d’infanterie de la Garde républicaine.
Au-delà de ses fonctions officielles, la Musique de la Garde républicaine est un ambassadeur culturel de la Gendarmerie, jouant un rôle crucial dans le lien entre l’Armée et la Nation. Ses prestations pour le grand public sont nombreuses et variées. Dans les années 1980-1990, elle participait régulièrement à des émissions télévisées populaires, notamment celles animées par Jacques Martin. Certaines de ces participations sont même devenues des moments musicaux d’anthologie, à l’instar de leur reprise du titre phare du groupe Oasis, Don’t Look Back in Anger, lors du match de football France-Angleterre, en juin 2017, en hommage aux victimes de l’attentat de Manchester, où de leur participation, le 21 mai 2022, au concert donné par le groupe Indochine au Stade de France. Les musiciens profitent également de ces olympiades parisiennes pour se produire dans des lieux symboliques pour le plus grand plaisir du public.
Ce rôle populaire n’est pas nouveau et a même revêtu une importance singulière notamment sous l’Occupation. Entre 1940 et 1944, la Musique de la Garde républicaine, rebaptisée Musique de la Garde personnelle du chef de l’État suite à la démilitarisation et au rattachement de la Garde républicaine à la Préfecture de police de Paris, donna de multiples concerts radiodiffusés destinés à distraire les auditeurs en leur offrant une programmation leur permettant d’oublier autant que possible la morosité ambiante.
Un répertoire musical riche et diversifié
Ces prestations au profit du grand public explique la richesse insoupçonnée de la bibliothèque musicale de la Musique de la Garde républicaine, dont le répertoire s’étend du XVIIe siècle à aujourd’hui, et le travail tout aussi méconnu et fondamental de transcriptions, véritable réécriture de partitions pour les adapter au format de la phalange sans pour autant les dénaturer. Il peut s’agir de transcriptions d’œuvres du grand répertoire symphonique, de musiques de films, de créations contemporaines, ou de standards de la musique pop.
Ainsi, la participation de la Musique de la Garde républicaine aux côtés d’Aya Nakamura lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024 ne relève en rien de l’incongruité. Au contraire, elle s’inscrit dans une double tradition historique : celle de sublimer les événements officiels de la République et celle de renforcer le lien entre l’Armée et la Nation en contribuant activement à la culture populaire. Accompagner l’artiste francophone la plus écoutée au monde lors d’un événement suivi par des millions de spectateurs à travers la planète n’était que la continuité naturelle de sa mission.
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