ENTRETIEN – À l’occasion du centenaire de la mort de Kafka, Le Figaro revient sur la singularité de son style avec Florence Bancaud, universitaire et spécialiste de l’œuvre kafkéenne.
Florence Bancaud est professeur des Universités à l’université d’Aix-Marseille, spécialiste de littérature et histoire des idées germaniques. Elle est notamment l’auteure de Franz Kafka ou l’art de l’esquisse.
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LE FIGARO.- Quelle est la singularité du style de Kafka ?
Florence BANCAUD.- La singularité de son style vient du fait qu’il était de père tchèque et de mère allemande. Il écrivait en langue allemande, celle de sa mère, mais aussi celle de l’administration, donc une langue assez sobre. Les caractéristiques de la langue de Kafka, c’est justement une extrême sobriété, une certaine ascèse du langage. Il choisit des termes simples, des mots très faciles à comprendre, neutres, en apparence. J’ai beaucoup travaillé sur ses manuscrits, qu’il corrigeait dans le flux de l’écriture. Il n’écrit jamais avec des scénarios préétablis, mais directement sur le papier et ce qu’on peut relever dans l’ensemble des corrections, c’est que ça va dans le sens d’une épure toujours plus grande. Durant sa grande phase de création, de 1909 à 1924, il enlève de ses textes les hyperboles, les métaphores, tout ce qui est de l’ordre de la surcharge, pour garder des phrases en apparence assez neutres mais qui en réalité sont très polysémiques.
Son écriture a-t-elle été influencée par des modèles ?
Oui, malgré cette épure et cette simplicité apparentes, Kafka a plusieurs modèles sur lesquels il insiste beaucoup, notamment dans son journal. Le plus important, qui est aussi un anti-modèle, c’est Goethe, qui représente un peu le modèle de l’écriture autobiographique, de la construction de soi par l’écriture. Kafka dit que c’est un modèle un peu inégalable : c’est l’esthétique vers laquelle il tend mais qu’il sait ne jamais pouvoir atteindre. En revanche, les inspirations sur lesquelles il insiste beaucoup sont Bouvard et Pécuchet et L’Éducation sentimentale, de Flaubert. L’Éducation sentimentale est d’ailleurs son livre de chevet, qu’il va lire et relire toute sa vie durant. Ce genre de choses n’est pas très connu, mais c’est vrai qu’on peut aussi considérer que Kafka a une écriture qui est à la fois fantastique et réaliste. Il y a des moments, notamment dans la description de ville ou de scènes de la vie quotidienne, où l’écriture est très réaliste, inspirée de Flaubert. Kafka dira d’ailleurs de sa nouvelle Un célibataire entre deux âges que c’est son Bouvard et Pécuchet à lui. C’est la caricature d’une figure de célibataire telle qu’on peut en voir souvent chez Flaubert, donc ce modèle d’écriture là est très important. Il admire aussi beaucoup Kleist, écrivain allemand, qui représente pour lui le maître dans l’art de la nouvelle. Ce dernier concevait la nouvelle comme un organisme, un tout très achevé et construit. C’est véritablement le second maître d’écriture de Kafka.
« Il écrit surtout la nuit , dans un état de demi-sommeil où il est assailli des images oniriques. »
Florence Bancaud, universitaire
Quel est cet «art de l’esquisse» propre à Kafka dont vous parlez dans l’un de vos ouvrages ?
Kafka aurait voulu faire les Beaux-Arts et être dessinateur, c’était sa vocation première. Récemment, un livre de ses dessins a été publié. Ils sont très expressionnistes, très expressifs, avec des personnages, des silhouettes noires qui rappellent Kafka et ses personnages. Cet art de l’esquisse, il le transpose dans ses écrits. Tous les jours, il rédige une petite ébauche de texte, une phrase, un aphorisme. Il écrit surtout la nuit, dans un état de demi-sommeil où il est assailli des « images oniriques », des images intérieures qu’il essaye de transposer à l’écrit. Après la rédaction du Verdict, sa première nouvelle qu’il écrit en une nuit, il dit que c’est comme une naissance. Plus qu’une esquisse, c’est une œuvre achevée, dont il est extrêmement fier. Mais parfois, justement, il commence à écrire, porté par cette transe plus ou moins onirique et tout d’un coup, l’inspiration s’arrête. Alors soit il essaie de reprendre les jours suivants cette esquisse, soit il la laisse de côté. C’est comme un organisme qui n’est plus viable pour lui. Esquisse donc, parce qu’on peut considérer toute son œuvre comme une œuvre de fragments : ses trois romans sont inachevés, tout comme la plupart de ses nouvelles. Beaucoup s’arrêtent au beau milieu d’une phrase, parce que l’inspiration est retombée. Mais pourquoi art ? Même si Kafka était très exigeant avec lui-même et qu’il considérait cet inachèvement comme un échec, on peut considérer, nous lecteurs, qu’il a laissé de véritables œuvres d’art, même avec ces textes inachevés, parfois reconstitués par son exécuteur testamentaire, Max Brook. Le rapport un peu ambigu de Kafka à son œuvre, qu’il considère comme incomplète et insatisfaisante, est dû à son désir de l’écriture parfaite. Il a toujours le sentiment que le mot peut trahir la pensée. Il faut essayer de viser au plus près de l’idée mais les mots sont parfois incapables de la traduire avec justesse. J’ai beaucoup travaillé la poétique de Kafka, sur toute sa théorie du langage, ce refus de la métaphore facile, le refus des comparaisons et de toutes les formes d’ornement. Il préfère viser la simplicité la plus extrême pour essayer de rendre de la manière la plus transparente possible sa pensée et ses fameuses images oniriques.
Kafkaïen, kafkéen… On hésite parfois sur l’usage de ces termes : lequel choisir ?
«Kafkaïen» est devenu un adjectif mythique. Il n’y a pas beaucoup d’adjectifs qui montrent à quel point l’auteur est devenu mythique : shakespearien, balzacien… et donc kafkaïen. Quand on dit « kafkaïen », il y a deux sens. Soit ça évoque l’atmosphère un peu absurde, dérisoire de l’univers de Kafka, soit ça évoque une situation dans la vie quotidienne qui évoque l’absurde propre à Kafka. Par extension ça désigne ce qui est oppressant, ce qui est incompréhensible, qui peut être cauchemardesque. C’est un adjectif souvent associé à des impressions assez négatives et qui est un peu biaisé, du fait de cette mythification de Kafka, qu’on réduit justement au kafkaïen, à cette atmosphère glauque et absurde. Or cela masque une partie de la personnalité de Kafka, qui pouvait être très drôle et lisait ses œuvres, notamment La métamorphose, à ses amis qui étaient littéralement pliés de rire. On a du mal à imaginer cela parce que l’univers est tellement noir, tellement sinistre. Je préfère donc l’adjectif « kafkéen ». « Kafkaïen » qualifie une atmosphère, et « kafkéen » désigne ce qui est propre à Kafka. Par exemple on ne dira pas « les phases de création kafkaïennes ». Elles sont propres à Kafka, mais elles ne sont pas liées à cet univers glauque. De même, on parle de l’œuvre kafkéenne et non pas kafkaïenne.
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