Dans le cimetière du Montparnasse, à Paris, juste après une série de caveaux et de mausolées où le laid le dispute au hideux, le sépulcre parfaitement entretenu et passablement ronflant de la maréchale Pétain (née Eugénie Hardon, 1877-1962) marque de manière à tout le moins saugrenue le début du carré juif. Là, quelque part dans cette trentième division accolée à la rue Froidevaux, dans une étroite allée qui oblige à marcher comme un funambule entre les tombes, une pierre grise sans artifice est posée au ras du sol.
Ci-gît la famille Isaac. Les inscriptions sont presque illisibles, érodées et calaminées par le temps et la pollution. On déchiffre : « Marcel Isaac, 12ᵉ chasseur à cheval, Mort pour la France à l’âge de 28 ans ». Sa fiche militaire précise qu’il est décédé le 8 octobre 1915 à l’hôpital militaire numéro 1 de Bussy-le-Château, dans ce département de la Marne où il était né. La famille Isaac avait quitté l’Alsace après l’annexion allemande de 1871 et s’était installée à Châlons-sur-Marne (aujourd’hui Châlons-en-Champagne). Les Isaac voulaient rester français.
Marcel avait un frère de six ans son cadet, André, lui-même blessé en 1914 par un éclat d’obus au bras. Cette péripétie guerrière mit un terme à une carrière de violoniste à vrai dire moyennement bien emmanchée, au dire même de l’intéressé. Le puîné a donc remisé son crincrin après l’Armistice et s’est reconverti dans l’humour, catégorie loufoque. Il est mieux connu sous son pseudonyme d’artiste : Pierre Dac (1893-1975). Une exposition (inaugurée en 2020 mais suspendue par la pandémie de Covid-19) lui est consacrée jusqu’au 27 août au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris.
Toute la vie et les multiples facettes de ce maître de l’humour absurde sont abordées. Et surtout son parcours de résistant pendant la seconde guerre mondiale : Pierre Dac fut, à partir d’octobre 1943, un des grands animateurs des « Français parlent aux Français », sur Radio Londres. L’humoriste, qui s’était réfugié à Toulouse, en zone non occupée, en 1940, se retrouve bien vite dans le collimateur de la censure vichyste, notamment après un pastiche mettant en scène « le pèr’Musso » sur l’air de la Mère Michel. Dès 1941, il tente de rejoindre les Français libres à Londres. Plusieurs essais infructueux lui valent des séjours en prison, en Espagne et en France.
Pastiches corrosifs
A l’automne 1943, au bout d’un long et périlleux voyage, Pierre Dac finit par « mettre le pied, suivi d’un autre, sur le sol de la Grande-Bretagne », comme il l’annonce le 29 octobre 1943 dans le journal de la France libre, édité à Londres. Il a 50 ans. Il est déjà connu pour ses articles désopilants dans L’Os à moelle, la revue humoristique qu’il a créée en 1938, et ses émissions de radio frappadingues.
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