Le débat sur l’abaya, qui vient d’être interdite dans l’école publique, a relancé une nouvelle fois à la rentrée 2023 les tensions autour de la laïcité scolaire et des signes religieux ostentatoires, la définition de ce qui est ostentatoire étant sujet à de multiples interprétations depuis leur interdiction en 2004.
Certains hommes politiques voient dans l’instauration d’un uniforme ou d’une tenue unique des élèves une solution commode au serpent de mer du port des « signes religieux ostentatoires ». L’interdiction de ces signes s’ajoute à la demande d’une « tenue correcte », principe auquel il est très largement fait référence, mais encore plus imprécis.
Contrairement à ce qu’on croit souvent, l’uniforme n’a jamais été en France une règle générale. Il était pourtant tombé en désuétude après mai 1968 mais renaît périodiquement depuis le début des années 2000.
Des hommes politiques très divisés
Les ministres de l’Éducation nationale ont été conduits régulièrement à se prononcer sur le sujet. En 2003, Xavier Darcos s’y déclarait favorable, pour lutter contre les communautarismes et pour supprimer les différences visibles de niveau social entre élèves. François Fillon et certains parlementaires UMP défendaient une « tenue uniforme » en 2017. Marine Le Pen y était aussi favorable dans son programme électoral.
En 2018, Michel Blanquer se déclare en faveur du port d’un uniforme décidé au niveau local, ce qui aurait du sens pour signifier l’égalité des élèves dans une école républicaine. Beaucoup plus récemment Pap Ndiaye s’y déclarait au contraire opposé, refusant « une loi qui viendrait plaquer et imposer des tenues scolaires ». Gabriel Attal est assez réservé même s’il propose des expérimentations de la mesure.
En janvier 2023, à l’initiative du Rassemblement national, une proposition de loi qui prévoyait d’instaurer une tenue uniforme, aux couleurs de l’établissement, dans les écoles et les collèges publics avait été rejetée par l’Assemblée nationale, votée seulement par le RN et les Républicains. Mais, dans le contexte de ce débat parlementaire, la première dame, Brigitte Macron, avait déclaré au Parisien qu’elle était « pour le port de l’uniforme à l’école ». Le sujet divise et suit largement le clivage entre droite et gauche.
Des valeurs contradictoires
Selon un sondage CSA (janvier 2023) 59 % des Français semblent y être favorables mais le plus intéressant est l’écart entre les personnes de 65 ans et plus, pour à 66 % et les 18-24 ans, seulement à 35 %. L’écart générationnel est énorme, probablement lié aux valeurs de chaque génération, les jeunes privilégiant les libres choix des individus alors que les personnes âgées valorisent davantage le sens du devoir, comme le montre très bien l’enquête sur les valeurs des Français.
Les positions sur le sujet sont donc largement dépendantes des systèmes de valeurs des individus. La mesure met en jeu des valeurs contradictoires comme d’un côté l’égalité entre les élèves, le sens de l’appartenance collective à leur groupe scolaire et plus largement à la nation, le respect dû aux enseignants et aux autorités. De l’autre, on trouve le rejet des règles imposées, la reconnaissance de la liberté d’expression des élèves – principe reconnu par la loi d’orientation sur l’école de 1989, initiée par Lionel Jospin –, et l’acceptation de l’autonomie des jeunes qui doivent pouvoir choisir leur manière de s’habiller et manifester leur identité en construction.
Une mesure complètement opposée à l’évolution des valeurs
Dans ce conflit de valeurs, certains peuvent hésiter mais beaucoup ont néanmoins une orientation qui recoupe d’ailleurs aussi assez largement leurs orientations politiques. Droite et extrême droite sont généralement favorables à l’uniforme alors que la gauche le refuse le plus souvent.
Les positions sont plus nuancées sur l’interdiction de l’abaya qui n’est pas seulement considérée comme une tenue vestimentaire, mais comme un signe religieux ostentatoire qu’une partie de la gauche condamne au nom de la laïcité. Au sein de la Nupes, les leaders du PS et du PCF sont plutôt pour l’interdiction, alors que ceux de LFI et des Verts y sont plutôt opposés.
Sur l’uniforme, le centre cherche souvent un entre-deux, comme l’a suggéré Emmanuel Macron. Instaurer un uniforme serait pour le président de la République une solution trop stricte alors qu’une tenue unique, décidée localement, instaurerait simplement un code vestimentaire : « Sans avoir un uniforme, on peut dire : “vous vous mettez en jeans, T-shirt et veste” » (interview sur la chaîne YouTube de HugoDécrypte, 4 septembre 2023).
L’instauration d’un uniforme serait une mesure complètement opposée à l’évolution des valeurs depuis une cinquantaine d’années. Les jeunes veulent expérimenter ce qui fait sens pour eux, ils ne veulent pas reproduire mécaniquement ce que faisaient leurs aînés.
Une telle mesure aurait toute chance d’être mal vécue par une majorité de jeunes et de leurs parents, comme une expérience menée en 2018 à Provins l’avait montré. Décidée par le conseil municipal à majorité LR après une consultation des parents, qui y étaient plutôt favorables, la mesure n’avait pas été rendue obligatoire par l’Éducation nationale. De fait la tenue a été de moins en moins portée par les élèves et la mesure a été abandonnée.
Si la tenue unique à l’école revient régulièrement dans le débat public français ces dernières années, il n’en est pas de même dans les pays où l’uniforme fait partie intégrante de la culture nationale, comme c’est le cas au Royaume-Uni.
Les Britanniques partagent assez largement la volonté d’individualisation et d’autonomie individuelle de beaucoup d’Européens de l’Ouest, mais ils sont aussi très respectueux des traditions et moins prompts à politiser la vie quotidienne que les Français. La tradition de l’uniforme est très largement respectée et les élèves vivent leurs expériences d’autonomie dans d’autres sphères de leur existence.
Contrairement à ce que pensent beaucoup de conservateurs français, on peut douter que la mesure donne le sens du collectif, aide à respecter l’autorité et gomme les inégalités. Si une telle mesure fonctionnait en France comme au Royaume-Uni, on peut penser que l’autonomie individuelle trouverait aussi à s’exprimer d’une autre manière, soit dans les interstices de l’uniforme, soit hors du cadre scolaire.
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