La deuxième session de discussions visant à aboutir à un traité international sur la pollution plastique s’est ouverte cette semaine à Paris. Le recyclage est souvent présenté comme une solution pour réduire ces déchets, mais des études récentes montrent que le processus présente ses propres risques et qu’il ne peut compenser l’explosion de la production plastique.
Les représentants de 175 nations sont réunis depuis le 28 mai au siège de l’Unesco, à Paris, pour un second cycle de négociations en vue d’un accord international sur la pollution plastique.
L’ampleur de cette pollution ne cesse de croître. Le monde produit deux fois plus de ces déchets qu’il y a vingt ans, soit 353 millions de tonnes en 2019, selon les estimations de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Si ce chiffre a baissé en 2020, du fait de la pandémie de Covid-19, il est depuis reparti à la hausse.
La grande majorité de ces déchets est mise en décharge, incinérée ou « mal gérée », c’est-à-dire qu’elle est laissée à l’abandon ou n’est pas éliminée correctement. Seuls 9 % des déchets plastiques sont recyclés.
Accroître le recyclage du plastique peut sembler un moyen logique de transformer les déchets en ressources. Mais des études récentes suggèrent que ce procédé présente ses propres risques pour l’environnement et la santé, notamment les niveaux élevés de microplastiques et les toxines nocives produites par le processus qui peuvent être dangereuses pour les personnes, les animaux et l’environnement.
Pollution aux microplastiques
« Nous en avons trouvé des quantités assez effrayantes, pour être honnête », souligne Erina Brown, spécialiste des matières plastiques et auteur principal d’un rapport de recherche sur les écoulements de microplastiques produits par les centres de recyclage, publié en mai 2023.
Le centre de recyclage britannique dans lequel Erina Brown a mené ses études utilisait de grandes quantités d’eau (pratique courante dans l’industrie du recyclage) pour trier, déchiqueter et séparer les matières plastiques avant qu’elles ne soient composées et transformées en granulés destinés à la revente.
Ses recherches portent sur le taux de microplastiques (particules de plastique d’une taille inférieure à 5 mm) libérés dans l’eau au cours de ce processus.
« Il y avait 75 milliards de particules par mètre cube dans l’eau de lavage », explique-t-elle. « Environ 6 % de tous les plastiques entrant dans l’installation étaient ensuite rejetés dans l’eau sous forme de microplastiques, même avec le [système] de filtration ».
Les scientifiques continuent d’étudier les risques éventuels des microplastiques pour la santé humaine. On pense qu’ils sont porteurs d’organismes pathogènes qui agissent comme vecteurs de maladies dans l’environnement, où de nombreuses particules de plastique produites par le recyclage sont susceptibles de se retrouver.
L’eau utilisée dans les centres de recyclage du monde entier passe souvent par des installations de traitement des eaux usées, qui « ne sont tout simplement pas conçues pour filtrer des microplastiques de cette taille », précise Erina Brown.
Les microplastiques capturés dans les boues d’épuration sont souvent épandus par inadvertance dans les champs comme engrais, tandis que ceux qui restent dans l’eau traitée pénètrent dans les cours d’eau locaux et même au-delà : une étude publiée en mars a montré que les microplastiques des rivières européennes s’étaient répandus dans les mers de l’Arctique.
Plus des deux tiers des États membres de l’ONU se sont mis d’accord en mars dernier pour élaborer un accord juridiquement contraignant sur la pollution plastique. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), qui accueille les négociations, a publié une feuille de route visant à réduire les déchets plastiques de 80 % d’ici à 2040.
Toutefois, certains groupes de défense de l’environnement estiment que les trois domaines d’action clés définis – réutilisation, recyclage et réorientation vers des matériaux alternatifs – constituent une concession à l’industrie mondiale du plastique et de la pétrochimie, car ils minimisent la nécessité de réduire drastiquement l’utilisation du plastique.
Dangers du recyclage
La libération de microplastiques n’est pas la seule faille du système. Le recyclage implique de travailler avec des produits chimiques toxiques non réglementés.
Selon un rapport des Nations unies publié ce mois-ci, les plastiques ne contiennent pas moins de 13 000 produits chimiques, dont 3 200 ont des « propriétés dangereuses » susceptibles d’affecter la santé humaine et l’environnement. Or, comme l’a récemment rappelé l’organisation Greenpeace, de nombreux autres produits n’ont jamais été évalués et pourraient également être toxiques.
En outre, « seule une très, très petite partie de ces produits chimiques est réglementée au niveau mondial », explique Therese Karlsson, conseillère scientifique et technique au Réseau international pour l’élimination des polluants organiques persistants (IPEN). « Comme il n’y a pas de transparence [sur le marché], les gens n’ont aucun moyen de savoir quels plastiques contiennent des produits chimiques toxiques et lesquels n’en contiennent pas ».
Le risque que posent ces substances chimiques augmente avec les plastiques recyclés, car des produits de composition inconnue sont chauffés et mélangés. « Le résultat est un produit totalement inconnu qui est réintroduit sur le marché », avertit Therese Karlsson.
Le rapport de Greenpeace décrit également les risques accrus pour la santé des travailleurs des centres de recyclage exposés à des produits chimiques toxiques, y compris des problèmes de santé à long terme tels que le cancer et des dysfonctionnements des systèmes reproductifs.
Il constate également des niveaux plus élevés de produits chimiques toxiques dans les plastiques recyclés que dans les plastiques vierges, notamment dans les ustensiles de cuisine, les jouets pour enfants et les emballages alimentaires.
La propagation ne s’arrête pas là. « Nous avons réalisé des études sur les œufs qui se trouvent à proximité de lieux où l’on recycle les plastiques et nous avons constaté que ces produits chimiques pénètrent dans la chaîne alimentaire », prévient Therese Karlsson. « Les plastiques peuvent servir de vecteurs à ces produits chimiques, même dans des endroits très éloignés ».
La production de plastique, une « bombe à retardement«
La part des déchets plastiques recyclés dans le monde devrait atteindre 17 % d’ici à 2060, selon les chiffres de l’OCDE. Mais recycler davantage n’est pas une solution miracle, car après un ou deux recyclages, la plupart des plastiques ne sont plus réutilisables.
« Il existe un mythe concernant le recyclage du plastique : si la qualité est suffisante, le plastique peut être recyclé en bouteilles », explique Natalie Fée, fondatrice de City to Sea, une organisation caritative britannique de défense de l’environnement.
« Mais au fur et à mesure qu’il passe par le système, le plastique devient de moins en moins bon. Il est recyclé en tuyaux d’évacuation ou parfois en vêtements en laine polaire. Mais ces articles ne peuvent pas être recyclés par la suite ».
Il est donc difficile d’affirmer que le plastique recyclé est un matériau durable, a souligné cette semaine Graham Forbes, responsable de la campagne mondiale sur les plastiques chez Greenpeace USA.
« Les plastiques n’ont pas leur place dans une économie circulaire. Il est clair que la seule véritable solution pour mettre fin à la pollution plastique est de réduire massivement la production de plastique ». De plus, il est impossible d’augmenter le recyclage au même rythme que la quantité de déchets plastiques produits, qui devrait presque tripler d’ici 2060.
« Nous ne nous en sortirons pas par le recyclage », affirme Therese Karlsson. « Pas comme cela fonctionne aujourd’hui. Car aujourd’hui, le recyclage du plastique ne fonctionne pas ». Elle espère que les négociations, à Paris, pour l’élaboration d’un traité sur la pollution plastique permettront d’avancer sur cette question.
Négociations longues et compliquées
À cette occasion, une coalition de 55 pays a demandé des restrictions sur certains produits chimiques dangereux et des interdictions sur les produits plastiques problématiques difficiles à recycler et qui finissent souvent dans la nature.
« La pollution plastique, c’est une bombe à retardement en même temps qu’un fléau déjà présent », a déclaré le président français, Emmanuel Macron, dans un message vidéo à l’ouverture de la conférence.
« Il nous faut définitivement mettre fin à un modèle globalisé et insoutenable qui consiste à produire le plastique en Chine ou dans les pays de l’OCDE, pour ensuite l’exporter sous forme de déchets vers les pays en développement, qui sont pourtant moins bien équipés en systèmes de traitement de déchets ».
Therese Karlsson, qui assiste aux négociations à Paris, voit une raison d’espérer. « Le traité sur les plastiques est une occasion incroyable de protéger la santé humaine et l’environnement contre cette pollution. Pour ce faire, il faudrait éliminer progressivement les produits chimiques toxiques des plastiques, garantir la transparence tout au long du cycle de vie des plastiques et réduire la production ».
La réduction de la production plastique suscite néanmoins la réticence de plusieurs pays qui préfèrent insister sur le recyclage et une meilleure gestion des déchets. C’est le cas de la Chine, des États-Unis, de l’Arabie saoudite et plus généralement des pays de l’Opep, qui entendent protéger leur industrie pétrochimique.
C’est pourquoi cette semaine de négociations à Paris n’est que la deuxième étape d’un processus long et compliqué. Trois autres sessions sont encore prévues : une en novembre, puis deux autres l’année prochaine, en vue de l’adoption de ce traité sur la pollution plastique courant 2025.
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