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Marat Khousnoulline, du métro de Moscou aux ruines de Marioupol

Technocrate ayant façonné le nouveau visage de Moscou, Marat Khousnoulline est vice-Premier ministre de la Fédération de Russie en charge des grands chantiers de construction du pays. La guerre contre l’Ukraine a fait de lui le maître d’œuvre du Kremlin dans les territoires occupés.

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En dehors de Russie, Marat Khousnoulline n’avait probablement jamais autant attiré l’attention. Le 19 mars dernier, c’est lui qui accompagnait Vladimir Poutine lors de sa visite nocturne – et inattendue – à Marioupol. Ce vice-Premier ministre servait de guide au président russe à travers une ville dévastée mais « libérée ». L’excursion est filmée et diffusée par le Kremlin. Un pied de nez à Kiev et ses alliés, alors que la Cour pénale internationale venait d’émettre un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. À Marioupol, l’obscurité masque la désolation. Casquette et blouson noirs, Marat Khousnoulline présente au président un quartier résidentiel neuf, avec jeux pour enfants et aire de street workout, et expose le plan de reconstruction de la ville. La communication est parfaitement contrôlée, ou presque : des internautes ont repéré la voix furtive, hors cadre, d’une habitante osant dénoncer la supercherie de la mise en scène.

Encore peu connu du grand public, Marat Khousnoulline a pourtant acquis une bonne place dans l’entourage de Vladimir Poutine. Vice-Premier ministre, il est désormais celui qui a la charge de rapporter au président les actions entreprises dans les « nouvelles régions », selon la terminologie employée par l’État russe. En décembre 2022 déjà, les deux hommes inspectaient ensemble les dommages causés au pont de Crimée, partiellement détruit deux mois plus tôt. Plus récemment, Marat Khousnoulline a été le premier haut responsable russe à se rendre à Bakhmout : une visite préliminaire pour anticiper la reconstruction, faisait-il savoir sur son compte Telegram.

De Kazan à Moscou

Marat Khousnoulline, 56 ans, a commencé sa carrière dans son Tatarstan natal : pendant neuf ans, il y occupe le poste de ministre de la Construction de cette République de Russie. « Il a connu une ascension rapide au Tatarstan, qu’il a contribué à transformer en développant de gros projets. La capitale de la République, Kazan, est la seule ville qui, dans la Russie post-soviétique, s’est dotée d’un métro », rappelle Vladimir Pawlotsky, docteur en géographie et enseignant à l’Institut français de géopolitique. Son savoir-faire et son efficacité remontent jusqu’à Moscou. En 2010, il est appelé à la capitale et s’y voit confier le département de la construction. Il ne vient pas seul : en 2018, le journal Novaïa Gazeta révélait comment Marat Khousnoulline avait placé ses « zemliaki » – des proches originaires d’un même lieu, en l’occurrence du Tatarstan – à des postes influents.

Le cahier des charges qu’il reçoit est ambitieux : mettre de l’ordre dans les contrats conclus sous l’ancien maire Iouri Loujkov et moderniser la ville. Extension de sa superficie et de son réseau métropolitain, nouveaux quartiers résidentiels, rocades. La transformation de Moscou est rapide, parfois contestée, mais généralement saluée. Parmi ces réussites, la rénovation du stade Loujniki, qui impressionne les visiteurs étrangers lors de la Coupe du monde de football en 2018 ; le parc urbain Zariadié, lauréat d’un prix au Mipim (Marché international des professionnels de l’immobilier) et nouvelle carte de visite de la capitale. Adjoint au maire Sergueï Sobianine, Marat Khousnoulline a œuvré à l’attractivité internationale de Moscou, notamment par le biais d’un forum consacré à l’urbanisme. Pour cela, il a également recruté un ami étranger, Maurice Leroy, ancien ministre français de la Ville (2010-2012).

« Orchestrer le travail »

En janvier 2020, il quitte la mairie de Moscou pour prendre des responsabilités fédérales : le technocrate Khousnoulline devient l’un des vice-Premiers ministres du gouvernement de Mikhaïl Michoustine. Sa mission reste la même, mais étendue au pays tout entier. « Je suis avant tout un technocrate qui doit mener à bien des politiques », disait-il alors au journal Les Échos, dans un rare entretien accordé à la presse étrangère. « Le gouvernement en Russie n’est pas une entité politique comme en France. C’est un organe de management. Ma mission, ce n’est donc pas de faire de la politique mais d’orchestrer le travail ». Durant la crise sanitaire du Covid-19, il dresse des comptes-rendus réguliers et circonstanciés au président Poutine, en visioconférence, sur les travaux entrepris dans les différentes régions du pays. « Marat Khousnoulline a un vrai profil oriental », assurait une source à la mairie de Moscou, dans un portrait informé publié en 2020 par le site Meduza. L’homme évite les conflits, il n’affiche pas ses désaccords et fait valoir ses positions en privé.

L’offensive lancée contre l’Ukraine l’a inévitablement entrainé vers la politique « idéologique » : en décrétant à la hâte l’annexion des territoires ukrainiens occupés – et en dépit du scandale suscité par celle-ci –, le Kremlin a donné une autre dimension à la mission du vice-Premier ministre. Marat Khousnoulline mène désormais en Ukraine la reconstruction de villes détruites… par les forces russes. Devenu bâtisseur de Poutine dans un pays en guerre, l’ancien promoteur de Moscou fait aujourd’hui partie des personnalités russes sanctionnées par l’Union européenne et les États-Unis. Très actif sur le réseau Telegram, il documente ses nombreux déplacements à travers la Russie et, depuis 2022, en Ukraine sous contrôle russe – il s’est notamment rendu à Louhansk, Donetsk et dans la région de Zaporijjia. En novembre dernier, il a présenté la remise en état des territoires ukrainiens envahis comme « le plus grand projet de construction de Russie », évalué, selon les autorités, à 223 milliards de roubles, (2,6 milliards d’euros).

« Manager efficace »

« Marat Khousnoulline fait partie de ces fonctionnaires qui ne scandent pas des slogans délirants comme [Dmitri] Medvedev, et qui ne se photographie pas avec un marteau [référence à une vidéo violente partagée par le chef du groupe Wagner Evguéni Prigojine]. Il sert Vladimir Poutine fidèlement et efficacement », commente Ilya Rojdestvenski, journaliste de Dossier, un centre d’investigation fondé par l’oligarque russe en exil Mikhaïl Khodorkovski. « En échange, il reçoit la possibilité de s’enrichir. On appelle ce type de personnages des ‘managers efficaces’, mais leur efficacité se manifeste surtout dans la manière dont ils savent enrichir leur famille », ajoute-t-il, en référence à une enquête sur la famille Khousnoulline menée par le centre Dossier. Publiée le mois dernier, cette enquête affirme que les sanctions n’atteignent pas ses proches et leurs biens immobiliers à l’étranger.

L’avenir de Marioupol, la plus grande ville ukrainienne prise par la Russie l’année dernière, constitue un enjeu d’image pour les autorités : il s’agit d’imposer l’idée selon laquelle la souveraineté russe n’est plus discutable. Un document officiel d’une trentaine de pages détaille un « plan de développement » de Marioupol à l’horizon 2035, comme s’il s’agissait de n’importe quelle ville de Russie. Fidèle à son approche d’exécutant, Marat Khousnoulline met en application la politique à suivre. « Pour lui qui, dans le contexte post-Crimée [l’annexion de la Crimée en 2014, NDLR], a fait beaucoup pour améliorer l’image de Moscou, celle d’une ville mondiale ouverte aux investissements étrangers, Marioupol apparaît comme un terrain empoisonné », observe le chercheur Vladimir Pawlotsky.

Début mai, Vladimir Poutine a assisté au lancement du service de tramway de Marioupol par visioconférence depuis Saint-Pétersbourg. Sur place, des vétérans « ont comparé les destructions à Marioupol avec celles qui se sont produites durant le blocus [de Leningrad] pendant la Grande Guerre patriotique [nom donné à la Seconde Guerre mondiale] », souligne, dans une acrobatie idéologique, un média d’État. Les deux villes ont été « jumelées ». Dans le même esprit, la ville de Moscou, elle, a été associée à Louhansk. Le maire de la capitale russe, qui avait semblé observer une certaine réserve à l’égard de « l’opération militaire spéciale », s’est rendu sur place l’année dernière. Un engagement visible imposé par la réalité de la guerre, en faveur d’une aventure politique aussi toxique qu’incertaine.

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