Certaines substances et produits sont aujourd’hui reconnus comme dangereux… Mais on leur a parfois prêté, par le passé, des vertus curatives ou de beauté. Erreur tragique. Le temps de notre série «Les fausses bonnes idées en santé», nous revenons sur la radioactivité, mais aussi l’alcool, l’héroïne, le pétrole] et la cigarette.
Bon nombre des drogues dont on abuse actuellement ont commencé leur carrière en tant que médicaments « extrêmement utiles » et bénéfiques. C’est le cas de l’héroïne, de la cocaïne, du cannabis ou encore des amphétamines, entre autres.
Petit retour en arrière pour les plus fameuses substances, quand les usages étaient licites et même plébiscités. Quelles étaient donc leurs « vertus » ?
Cannabis et haschicch, bons à tout
Bien que largement utilisé depuis l’Antiquité dans de nombreuses cultures, le cannabis n’est introduit dans la médecine occidentale que récemment par le médecin irlandais William Brooke O’Shaughnessey.
Ce professeur du Calcutta Medical College publie, en 1839, un premier article décrivant ses propriétés anticonvulsivantes. Après son retour à Londres, en 1842, il entre en contact avec le pharmacien Peter Squire, qui produisit le premier extrait de cannabis commercial – vendu comme « Extrait de Squire ».
Par la suite, Sir John Russell Reynolds, médecin personnel de la reine Victoria d’Angleterre (il lui en prescrira d’ailleurs), publie en 1890, dans la revue The Lancet , un article résumant ses trente ans d’expérience clinique avec le haschich dans le traitement de l’insomnie, des névralgies, des maux de tête, de l’épilepsie ou de la dysménorrhée entre autres troubles.
À la fin du XIXe siècle, le cannabis ou haschich, sous différentes formes, est largement utilisé et s’est imposé dans toutes les pharmacopées occidentales. Son utilisation thérapeutique va toutefois décliner après son retrait de la pharmacopée britannique en 1932.
Freud, la coca et la dépression
La cocaïne, alcaloïde de la plante de coca (Erythroxylon coca) isolé en 1859 par le chimiste allemand Albert Niemann, est commercialisée comme médicament aux États-Unis en 1882. Elle est alors principalement préconisée contre les douleurs dentaires chez les enfants et pour traiter la goutte.
Mais le véritable découvreur de ses propriétés pharmacologiques est le père de la psychanalyse. Sigmund Freud, dans sa jeunesse, était plus enclin à la recherche qu’à l’exercice de la médecine, pour laquelle il semble avoir eu une réelle aversion.
En 1884, il tombe sur l’article d’un médecin militaire allemand intitulé « Importance et effets psychologiques de la cocaïne ». Bien qu’il n’ait jamais entendu parler de cette substance, il entrevoit aussitôt son potentiel contre certaines maladies mentales.
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Dès lors, Freud commence ses études sur la cocaïne. Dans un premier temps, il l’expérimente lui-même et constate une amélioration de son état dépressif, ainsi qu’une augmentation de sa confiance et de sa capacité de travail. Au cours de ses essais, il constate également que sa langue et ses lèvres sont engourdies après une prise et que celle-ci soulageait les douleurs de la muqueuse buccale et celles dues à la gingivite.
En 1884, il écrit son célèbre ouvrage Über Coca (« Sur la coca »), dans lequel il affirme que cette substance est un médicament très efficace pour combattre la dépression, éliminer les troubles gastriques d’origine nerveuse et augmenter les performances physiques et intellectuelles. Il affirmait également qu’elle n’entraînait pas d’accoutumance, pas d’effets secondaires, pas de vice…
Puis, après cinq articles de prosélytisme, le psychanalyste opère un revirement complet. Il finira par refuser de l’inclure dans ses œuvres complètes, après avoir constaté ses effets indésirables – notamment la mort de son ami et collègue Ernst Fleischl.
Il la recommande cependant à l’ophtalmologiste Carl Köller, qui confirme sa grande efficacité, diluée dans un collyre, comme anesthésique dans la chirurgie des yeux comme la cataracte.
Avec cette découverte, la médecine a fait un pas de géant et l’anesthésie locale est née.
Cependant, le plus grand succès « thérapeutique » de la cocaïne vient de sa présence dans une multitude d’« élixirs miracles » vendus, au tournant du siècle, pour leurs propriétés soi-disant énergisantes et tonifiantes. Le plus célèbre de tous fut celui du chimiste et pharmacien corse Angelo Mariani : un vin de Bordeaux où ont macérées des feuilles de coca, le tout breveté sous le nom de « Vin Mariani ».
Mariani fonde, en 1863, la première grande industrie basée sur la coca, et reçoit même une décoration du Pape Léon XIII pour ses mérites envers l’humanité. La boisson française fait bientôt fureur.
Intermède : le Coca… Cola
Aux États-Unis, le pharmacien John Stith Pemberton crée en 1886 un substitut sans alcool du vin de Mariani – qu’il va appeler « French Wine Coca ».
Ce tonique et stimulant nerveux est reformulé l’année suivante sous le nom de « Coca-Cola ». La société Coca-Cola est fondée en 1886 et présente d’abord son produit comme un remède contre les maux de tête et un stimulant et comme une boisson agréable : « Une boisson médicinale intellectuelle et de tempérament. »
Si la société Coca-Cola retira la cocaïne de sa boisson en 1903, la remplaçant par de la caféine et des feuilles de coca décocaïnées en guise d’arôme, quelque 69 autres boissons aux États-Unis en contenaient de toujours en 1909.
L’héroïne, plus sûre que la morphine…
L’héroïne est développée initialement pour améliorer la sécurité de la morphine, un alcaloïde de l’opium trop addictif – et non comme agent analgésique.
La diacétylmorphine, son nom technique, a été synthétisée en 1874 par le chimiste Alder Wright à la St.-Mary’s Hospital Medical School de Londres en traitant la morphine avec des acides organiques. Malgré sa capacité à abaisser la tension artérielle et la fréquence respiratoire, elle ne suscite guère d’intérêt clinique. Pas davantage les années suivant, quand il s’est avéré qu’elle calmait aussi la toux et facilitait le sommeil chez les patients atteints de tuberculose.
C’est finalement Heinrich Dreser, de la société pharmaceutique Friedrich Bayer & Co., qui va s’intéresser à la diacétylmorphine. Le premier il y voit une solution à la fois plus puissante pour soulager la douleur et une molécule plus acceptable que la sulfureuse morphine.
Elle est commercialisé en 1898 pour calmer la toux. Dreser va décrire cette drogue comme une « drogue héroïque »… d’où le nom commercial qu’utilisera Bayer : « Héroïne ». Elle connaît alors un succès commercial rapide et mondial, notamment comme antitussif.
Les amphétamines… contre la congestion nasale
À la fin des années 1920, le monopole commercial de l’Ephedra vulgaris, la plante dont est tirée l’éphédrine, entraîne la raréfaction et le renchérissement de ce principe actif. Ce qui conduit au développement d’alternatives thérapeutiques pour le traitement de l’asthme et de la congestion des voies respiratoires.
L’amphétamine, synthétisée en 1887 par le chimiste japonais Nagayoshi Nagai, est étudiée et commercialisée par les laboratoires Smith, Kline et French pour une utilisation par inhalation en tant que décongestionnant nasal.
Son utilisation médicale connaît son apogée dans les années 1960. En Grande-Bretagne, 2,5 % de toutes les prescriptions officielles en 1959 étaient des préparations contenant des amphétamines… On s’éloigne alors de l’usage initial puisque ces molécules sont alors recommandées comme anorexigènes (coupe-faim), mais aussi pour le traitement de l’épilepsie, de la schizophrénie, de la dépression, du syndrome du côlon irritable, de la sclérose en plaques, des lésions cérébrales traumatiques et des dysfonctionnements sexuels.
Ecstasy, kétamine, etc.
Prototype de la « drogue de synthèse », la méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA), communément appelée « ecstasy », est créée en 1914 dans le laboratoire allemand Merck en tant quecoupe-faim. Elle ne sera jamais commercialisée.
Par contre, elle est bientôt utilisée à des fins de recherche par la marine américaine dans les années 1950 et 1960, et pour faciliter la communication entre psychothérapeute et patient dans les années 1970.
D’autres drogues arrivées plus récemment dans l’arsenal récréatif proviennent aussi du monde thérapeutique et plus précisément du monde des anesthésiques :
● la phéncyclidine, connue sur le marché illégal sous le nom de « poussière d’ange »,
● la kétamine, un autre anesthésique général utilisé surtout chez les enfants et les personnes âgées, ainsi qu’en chirurgie vétérinaire. Il a trouvé un usage récréatif (« Ketas », « Spécial K ») lorsque ses effets psychédéliques (de psychotrope dissociatif) ont été découverts par hasard dans les années 1990,
● le gamma-hydroxybutyrate (GHB), ou « ecstasy liquide », toujours un anesthésique qui fut utilisé dans le traitement de l’œdème cérébral et de l’alcoolisme et comme ingrédient dans les compléments alimentaires dans les salles de sport.
Des usages médicaux pourtant questionnés dès le début
Les phénomènes addictifs liés à la consommation d’héroïne et de cocaïne étaient déjà connus dans les premières décennies du XXe siècle. Le Pure Food and Drug Act de 1906 a imposé les premières restrictions à la fabrication des deux substances.
En 1914, la cocaïne devient illégale aux États-Unis suite au Harrison Narcotic Control Act et, une décennie plus tard, en 1924, l’héroïne est interdite.
Enfin, en 1937, le Marijuana Tax Act est publié, qui interdit la consommation de cannabis, désormais inclus dans la liste des substances interdites de la Convention sur les stupéfiants en 1961.
Tous sont des exemples clairs, dans la métaphore pharmaceutique, du passage des « héros » aux « méchants ».
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