« La nouvelle France ». Dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon, la formule ne désigne pas ces vastes territoires d’Amérique du Nord détenus par la France jusqu’au XVIIIe siècle, mais les citoyens « dont les parents émigrés des autres continents et des autres provinces de France se sont rassemblés dans ces grands ensembles urbains que l’on voit partout sur notre territoire ».
À son QG dimanche soir, entouré de figures de son mouvement, Jean-Luc Mélenchon en a copieusement appelé à « cette France, la nouvelle France, qui s’est constituée au cours des deux dernières générations ». S’il martèle, dans une anaphore inspirée, que « la nouvelle France a subi ce soir, sans aucun doute, un très grand revers », il se montre optimiste pour l’avenir.
Dans sa première allocution peu après 21h, l’ancien candidat à la présidentielle anticipe : « Dans quelques heures, vous verrez après qu’on ait dépouillé les votes des grandes villes, vous verrez quelle force nous sommes capables de rassembler. » Pari réussi pour LFI qui tutoie finalement les 10 % grâce à la participation des « quartiers populaires », plus élevée que lors des précédents scrutins.
Appropriez-vous la France, faites-en votre patrie !
Jean-Luc Mélenchon
« La nouvelle France doit se dresser », a répété Jean-Luc Mélenchon dans son appel à la mobilisation générale pour les élections législatives. Et de haranguer : « Vous autres, le peuple des villes, des banlieues. Vous autres, le peuple qui dépendez absolument, de votre travail, des réseaux du collectif pour vivre et survivre, il vous faut maintenant vous emparer du problème qui vous est posé : appropriez-vous la France, faites-en votre patrie ! »
Dans une deuxième allocution vers 23h place Stalingrad, le patron des Insoumis ironise sur les instituts de sondage qui se sont « trompés de 3 points », la liste conduite par Manon Aubry ayant été donnée à 7 % plus tôt dans la journée. Pédagogue, il analyse ces résultats : « Ce qui s’est produit aujourd’hui est une surmobilisation dans les quartiers populaires et dans la jeunesse ». « L’essentiel de la population de notre pays vit en ville. Et par conséquent, c’est là que se trouve le peuple », lâche-t-il, omettant au passage le peuple des campagnes et de la « France périphérique » qui ne relève pas eux de la « nouvelle France » chère à Jean-Luc Mélenchon.
« Nouveau peuple » et « créolisation »
Le concept de « nouvelle France » est une sorte d’alliage entre la notion de « nouveau peuple » – employée par Jean-Luc Mélenchon dans l’intitulé d’une conférence en octobre dernier à l’Université Hassan II de Casablanca (Maroc) – et celle de « créolisation », empruntée au poète martiniquais Édouard Glissant – et dont la France Insoumise avait fait l’une de ses principales thématiques lors de la dernière campagne présidentielle.
Mais la véritable vision idéologique qui sous-tend le désir de voir émerger cette « nouvelle France » se trouve dans l’ouvrage théorique le plus abouti de Jean-Luc Mélenchon, Faites mieux ! Vers la Révolution citoyenne (Robert Laffont, 2023). Le concept post-marxiste de réappropriation des « réseaux du collectif », qu’il évoque dans ses deux discours dimanche soir, y est abondamment explicité.
La justification politique des émeutes urbaines
Dans le chapitre « Urbanité matrice de confrontation », le chef Insoumis ajoute, deux mois après les émeutes urbaines de l’été 2023 : « Et dans la révolte les cibles parlent comme des symboles évidents. Comment ne pas y voir la colère contre l’État quand les mairies et les commissariats sont incendiés ? L’injustice sociale quand les écoles et agences Pôle emploi sont saccagées ? La vie chère subie quand les rayons alimentaires des supermarchés sont vidés ? L’ampleur des inégalités quand les boutiques de luxe sont pillées ? ».
Dans cette énumération aux airs de justification, Jean-Luc Mélenchon conclut : « Dans tous les cas, l’appropriation du territoire devient l’enjeu énoncé par les participants. Au discours des autorités et des commentateurs pour désigner des modalités d’action conquérantes répond celui des insurgés pour nommer les combats contre un occupant. »
En légitimant cette opposition violente entre la « nouvelle France » et l’ancienne, qualifiée d’ « occupant », l’Insoumis en chef entend en être le débouché politique. Pari réussi, sans doute, mais à quel prix ?
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